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instructif et vivifiant, mais il me servit plutôt à approfondir le caractère de Lavater qu’à régler et à former le mien. À Ems, je le vis d’abord entouré de personnes de tout genre, et je retournai à Francfort, parce que mes petites affaires étaient en train, et que je ne pouvais guère les abandonner.

Mais je ne devais pas retrouver de sitôt un état tranquille, car Basedow survint, qui nie toucha et me prit d’un autre côté. Ces deux hommes formaient le plus parfait contraste qu’on pût voir. La figure de Basedow annonçait d’abord cette opposition. Tandis que la physionomie de Lavater s’ouvrait librement à l’observateur, celle de Basedow était concentrée et comme repliée sur elle-même. Les yeux de Lavater étaient brillants et doux, sous de très-larges paupières ; ceux de Basedow, enfoncés, petits, noirs, perçants, lançaient des éclairs par-dessous des sourcils hérissés, tandis que le front de Lavater était encadré de gracieuses boucles de cheveux bruns. La voix de Basedow, impétueuse et rude, ses assertions soudaines et tranchantes, un certain rire sardonique, ses brusques changements de conversation, et tout ce qui pouvait encore le caractériser, étaient l’opposé des qualités et des manières avec lesquelles Lavater nous avait séduits. Basedow fut aussi très-recherché à Francfort, et ses grandes facultés excitèrent l’admiration ; mais il n’était fait ni pour édifier ni pour diriger les âmes. Son unique souci était de mieux cultiver le vaste champ qu’il s’était tracé, afin que l’humanité y pût vivre à l’avenir d’une manière plus facile et plus conforme à la nature ; par malheur, il courait à ce but avec trop peu de ménagement.

Je ne pouvais me familiariser avec ses plans ni me faire même une idée claire de ses vues. Qu’il demandât que tout enseignement fût vivant et conforme à la nature, c’est ce que j’approuvais sans doute ; je trouvais très à propos que les langues anciennes fussent appliquées à des objets modernes, et j’aimais à reconnaître ce qu’il y avait dans son projet de propre à développer l’activité et une plus vive intelligence du monde ; mais j’étais choqué de voir les dessins de son livre élémentaire plus dispersés encore que les objets mêmes, car enfin, dans le monde réel, on ne voit ensemble que le possible : aussi le monde, malgré toute sa variété et son désordre apparent,