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La lutte entre la science et la foi n’était pas encore à l’ordre du jour ; cependant ces deux mots et les idées qu’on y rattache revenaient assez souvent, et les véritables contempteurs du monde affirmaient que l’une est aussi insuffisante que l’autre. Je trouvai donc à propos de me prononcer en faveur de toutes deux, mais cela ne me valut point l’approbation de mes amis. En matière de croyance, disais-je, l’essentiel c’est de croire : ce que l’on croit est complètement indifférent. La foi est un grand sentiment de sécurité pour le présent et pour l’avenir, et cette sécurité résulte de la confiance en un être infini, tout-puissant et impénétrable. L’essentiel est que cette foi soit inébranlable. Quant à la manière dont nous nous représentons cet être, elle dépend de nos autres facultés, des circonstances même, et elle est tout à fait indifférente. La foi est un vase saint, dans lequel chacun est prêt à sacrifier, autant qu’il est en lui, son sentiment, sa raison, son imagination. La science est tout le contraire : l’essentiel n’est pas le savoir, c’est l’objet, la qualité et l’étendue du savoir. Aussi peut-on disputer sur la science, parce qu’on peut la rectifier, retendre et la resserrer. La science commence par l’individuel ; elle est sans limites et sans forme, et c’est tout au plus en rêve qu’on pourra jamais l’embrasser tout entière : elle est donc directement opposée à la foi.

Ces demi-vérités et les rêveries qui en découlent, revêtues des couleurs de la poésie, peuvent stimuler et distraire ; mais, dans le commerce de la vie, elles troublent et embrouillent la conversation. Je laissais donc volontiers Lavater seul aux prises avec tous ceux qui cherchaient auprès de lui et avec lui leur édification, et je fus bien dédommagé de ce sacrifice par le voyage que nous fîmes ensemble à Ems. Un beau temps d’été nous accompagna. Lavater fut gai et charmant ; car, avec la direction religieuse et morale, mais parfaitement sereine, de son esprit, il ne restait point inaccessible à la bonne humeur et à la joie que réveillent dans les cœurs les incidents de la vie. Il était affectueux, spirituel, piquant, et il aimait qu’on le fut, pourvu qu’on restât dans les bornes que lui prescrivait sa délicatesse. Si l’on se permettait de les franchir, il frappait sur l’épaule du téméraire, et un cordial : « Calmez-vous ! » le rappelait à la bienséance. Ce voyage fut pour moi, à divers égards,