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cours extérieurs, on avait en soi assez d’étoffe ; qu’il s’agissait uniquement de la développer comme il faut. Le devoir de l’ecclésiastique d’exercer sur les hommes une action morale, dans le sens usuel, une action religieuse, dans le sens relevé, s’accordait parfaitement avec sa manière de penser. Communiquer aux hommes les sentiments honnêtes et pieux qu’il éprouvait, les éveiller en eux, était le penchant le plus prononcé du jeune Lavater, et sa plus chère occupation était d’observer les autres comme il s’observait lui-même : l’un lui était rendu facile et même imposé par une grande délicatesse de sentiment, l’autre, par une vue pénétrante des objets extérieurs. Cependant il n’était pas né pour la contemplation ; il n’avait aucun véritable talent d’exposition ; il se sentait plutôt porté avec toutes ses forces vers l’activité, vers la pratique ; aussi n’ai-je connu personne qui déployât une action plus continue. Mais notre nature morale se trouve enchaînée à des conditions extérieures, et, comme membre d’une famille, d’une classe, d’une corporation, d’une ville ou d’un État, il dut aussi, en tant qu’il voulait exercer une action, entrer en contact avec toutes ces extériorités, elles mettre en mouvement, ce qui donna lieu à maint conflit, à mainte complication, vu surtout que la communauté dont il était né membre jouissait, dans des limites très-exactes et très-déterminées, d’une honorable liberté traditionnelle. Dès son enfance, le républicain s’accoutume à réfléchir et à discourir sur les affaires publiques. À la fleur de son âge, le jeune homme se voit, comme membre de la tribu, appelé à donner ou à refuser sa voix. Veut-il donner un suffrage indépendant et juste, il doit, avant tout, s’éclairer sur le mérite de ses concitoyens ; il doit apprendre à les connaître ; il doit s’enquérir de leurs sentiments, de leur capacité, et, en s’efforçant de pénétrer les autres, faire des retours continuels sur son propre cœur.

Telle fut la sphère dans laquelle Lavater s’exerça de bonne heure, et cette activité pratique paraît l’avoir plus occupé que l’étude des langues, que cette critique analytique, qui y touche de près, qui en est la base comme le but. Plus tard, quand ses connaissances, ses lumières, se furent infiniment étendues, il disait assez souvent, d’un ton sérieux ou badin, qu’il n’était pas savant. C’est précisément par suite de ce défaut d’études profondes qu’il s’en tint à la lettre de la Bible, et même à la traduction, et, assurément, pour ce qu’il cherchait et qu’il avait en vue, il y trouvait une nourriture et des secours suffisants.

Mais cette sphère d’activité, avec la lenteur de mouvement propre aux maîtrises et aux corporations, devint bientôt trop étroite pour sa vive nature. Être juste n’est pas difficile au jeune homme, et un cœur pur déteste l’injustice, dont il ne s’est pas encore rendu coupable. Les actes oppressifs d’un bailli étaient manifestes pour les citoyens ; il était plus difficile de les traduire devant la justice : Lavater s’associe un ami, et tous deux ils menacent, sans se nommer, cet homme coupable. L’affaire est ébruitée, on se voit forcé de faire des poursuites. Le coupable est puni, mais les promoteurs de ce jugement sont blâmés et même censurés : dans un État bien constitué, la justice même ne doit pas être exercée injustement.

Dans un voyage que Lavater fait en Allemagne, il entre en contact avec des hommes savants et bien pensants ; mais il ne fait que se fortifier de