Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/527

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

était fort avantageux. Il était grand, svelte et bien fait ; ses traits étaient réguliers ; soigneux de sa personne et de son habillement, il pouvait passer pour le plus joli homme de notre petite société. Ses manières n’étaient ni prévenantes ni repoussantes ; elles étaient modérées, si quelque orage intérieur ne l’agitait pas.

On aime dans la jeune fille ce qu’elle est, et dans le jeune homme ce qu’il annonce : je fus l’ami de Klinger, du moment que je le connus. Il attirait par une douceur pure ; un caractère d’une fermeté manifeste lui gagnait la confiance. Appelé dès son enfance à une vie sérieuse, il était, avec une sœur vertueuse et belle, le soutien de sa mère, qui, restée veuve, avait besoin de s’appuyer sur de tels enfants. Tout ce qu’il était, il ne le devait qu’à lui-même, en sorte qu’on lui passait la veine de fière indépendance qui circulait dans toute sa conduite. Il possédait à un degré remarquable ces dispositions naturelles décidées, qui sont communes à tous les hommes bien doués, une conception facile, une excellente mémoire et le don des langues ; mais il semblait moins apprécier tout cela que la fermeté et la constance qui lui étaient également naturelles, et que les circonstances avaient portées chez lui au plus haut point.

Un jeune homme tel que lui devait faire ses délices des ouvrages de Rousseau. L’Émile était pour lui le premier des livres, et ces idées, qui exerçaient une influence générale sur le monde civilisé, fructifièrent chez lui plus que chez les autres. Lui aussi, il était l’enfant de la nature ; lui aussi, il était parti d’une position inférieure ; ce que les autres devaient rejeter, il ne l’avait jamais possédé ; les liens dont ils doivent se délivrer ne l’avaient jamais enchaîné ; il pouvait donc être considéré comme un des disciples les plus purs de cet évangile de la nature, et, en considérant ses sérieux efforts, sa conduite comme homme et comme fils, il pouvait à bon droit s’écrier : « Tout est bien, sortant des mains de la nature[1] ; » mais une fâcheuse expérience le força aussi de reconnaître que « tout dégénère entre les mains de l’homme. » Il n’eut pas à lutter avec lui-même, mais, hors de lui, avec le monde routinier, aux charmes duquel le citoyen de Genève voulait nous arracher. Et comme, dans la position du jeune homme, cette lutte devint souvent pénible et dure, il se sentit refoulé trop violemment en lui-même pour être en état de s’élever à une joyeuse et sereine culture : il dut au contraire se frayer un passage à force de peines et de combats. C’est pourquoi il se développa dans son caractère une veine d’amertume, qu’il entretint et nourrit parfois dans la suite, mais qu’il sut le plus souvent combattre et surmonter.

Dans ses productions se montre, autant qu’il m’en souvienne, une raison sévère, un sens droit, une vive imagination, une heureuse observation des traits divers de la nature humaine, et une fidèle imitation des différences génériques. Ses jeunes filles et ses enfants sont libres et aimables, ses jeunes gens ardents, ses hommes mûrs sont simples et sages ; les figures qu’il représente désagréables ne sont pas trop exagérées ; il ne manque pas de sérénité et de bonne humeur, d’esprit et d’heureuses saillies ; les allégories et les symboles ne lui font jamais défaut, il sait

  1. Rousseau dit : de l’Auteur des choses.