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tures, sachant bien toutefois quelles étaient mes occupations, et où j’allais et venais. Il ne m’était pas moins nécessaire déplacer le-théâtre de ces aventures, sinon dans un autre monde, du moins dans un autre pays, et cependant tout s’était passé le jour même ou la veille. C’était donc eux-mêmes qui devaient s’en faire accroire bien plus que je ne pouvais les tromper. Et si je n’avais pas appris à donner, selon ma disposition naturelle, la forme d’œuvres littéraires à ces billevesées et à ces gasconnades, ces débuts de fanfaron auraient eu infailliblement pour moi des conséquences fâcheuses.

Si l’on considère de près cette tendance, on pourra y reconnaître cette prétention du poète d’énoncer avec autorité les choses même les plus invraisemblables, et d’exiger de chacun qu’il admette comme réel ce qui pouvait, en quelque façon, paraître véritable à lui qui l’inventait. Mais ce que j’expose ici d’une manière générale et sous forme de réflexions deviendra peut-être plus agréable et plus évident par un échantillon, par un exemple. Je vais donc citer un de ces contes, que j’ai dû répéter souvent à mes camarades, et que pour cette raison je trouve encore tout vivant dans mon imagination et ma mémoire.


LE NOUVEAU PÂRIS.


(CONTE ENFANTIN.)

J’ai rêvé l’autre nuit (c’était la veille de la Pentecôte) que j’étais devant un miroir, occupé à mettre les nouveaux habits d’été que mes chers parents m’avaient commandés pour la fête. Cet habillement consistait, comme vous savez, en souliers d’un beau cuir, avec de grandes boucles d’argent, bas de coton fin, culotte de serge noire et habit de bouracan vert, avec des paillettes d’or. La veste, en drap d’or, était la veste de noces de mon père, ajustée à ma taille. J’étais frisé et poudré, les boucles s’écartaient de ma tête comme de petites ailes. Mais je ne pouvais venir à bout de ma toilette, parce que je confondais toujours les pièces d’habillement, et que la première me tombait toujours du corps, quand je voulais mettre la seconde. Dans ce grand embarras, je vis approcher un beau jeune homme, qui me salua de la manière la plus amicale, « Soyez le bienvenu, lui dis-je, je suis charmé de vous voir ici. — Vous me connaissez donc, répliqua-t-il en souriant. — Pourquoi pas ? répondis-je de même avec un sourire. Vous êtes Mercure, et je vous ai vu assez sou-