Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/506

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

donnant ma thèse avec complaisance. Chose singulière ! je ne choisissais jamais des personnes de mon intimité, mais de celles que je voyais rarement, plusieurs même qui vivaient loin de moi, et avec lesquelles je n’avais eu que des relations passagères. Je conviais le plus souvent de celles qui, plus impressionnables qu’expansives, sont prêtes à prendre, avec un sens droit, un intérêt calme aux choses qui se trouvent dans leur horizon. Toutefois j’appelais de temps en temps à ces exercices dialectiques des esprits contredisants. Des personnes des deux sexes, de tout âge et de toute condition, voulaient bien se prêter à la chose, et se montraient agréables et complaisantes, parce qu’on les entretenait uniquement d’objets à leur portée et de leur goût. Et pourtant plusieurs auraient été bien surprises M elles avaient pu savoir comme elles étaient souvent appelées à ces entretiens imaginaires, elles qu’on aurait si difficilement amenées à un entretien réel.

On voit assez clairement combien ces conversations idéales ont d’affinité avec une correspondance épistolaire. Seulement celle-ci répond à une confiance établie, tandis que, dans l’autre cas, on trouve moyen de s’en procurer une nouvelle, toujours changeante, et qui reste sans réponse. Aussi, quand je me proposai de peindre ce dégoût de la vie, que les hommes ressentent sans être pressés par la nécessité, je dus songer aussitôt à exposer par lettres mes sentiments, car le découragement est toujours l’enfant, le nourrisson de la solitude. Celui qui s’y abandonne fuit toute contradiction, et qu’est-ce qui le contredit plus que toute société joyeuse ? Le bonheur des autres lui est un douloureux reproche, et ce qui devrait l’engager à sortir de lui-même l’y refoule plus profondément. S’il veut peut-être s’expliquer là-dessus, il le fera par lettres, car un épanchement écrit, qu’il soit joyeux ou chagrin, ne rencontre aucun contradicteur direct ; une réponse, où sont exposées les raisons contraires, donne au solitaire l’occasion de se confirmer dans ses rêveries, un sujet de s’obstiner toujours davantage. Si les lettres de Werther, écrites dans cet esprit, ont un attrait si varié, c’est que le fonds très-divers en avait été élaboré dans ces conversations imaginaires avec nombre de personnes, et qu’ensuite, dans la composition, elles paraissent adressées à un seul ami,