Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/503

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

trop en fonds, je me trouvai, dans le temps où je recevais de tous côtés des marques d’attention et des éloges, fort embarrassé à payer seulement le papier sur lequel j’avais révélé mon talent au monde. Merck, qui savait déjà mieux se tirer d’affaire, nourrissait, au contraire, les meilleures espérances que tout s’arrangerait bientôt, mais je ne m’en suis point aperçu.

J’avais déjà appris à connaître le public et les critiques, à l’occasion des petites pièces fugitives que j’avais publiées en gardant l’anonyme, et j’étais assez bien préparé à l’éloge et au blâme, surtout ayant suivi ces choses depuis plusieurs années, et observé comment on traitait les écrivains qui avaient fixé mon attention au plus haut point. Je pouvais même, dans mon incertitude, remarquer clairement combien il se disait au hasard de choses frivoles, partiales et arbitraires. J’en fis l’épreuve à mon tour, et, si je n’avais eu quelque expérience, les contradictions de gens éclairés m’auraient causé un trouble étrange. Il parut entre autres, dans le Mercure allemand, une appréciation étendue, bienveillante, ouvrage d’un esprit borné. Je ne pouvais souscrire à ses critiques, encore moins aux corrections qu’il proposait. Aussi me fut-il bien agréable de trouver, aussitôt après, une franche déclaration de Wieland, qui se prononçait, en général, contre le critique, et prenait ma défense contre lui. Mais l’autre opinion était aussi imprimée ; j’avais là un exemple des jugements aveugles d’hommes instruits et cultivés : que serait-ce de la masse du public ?

Le plaisir que j’avais à m’entretenir et à m’instruire avec Merck sur ces matières fut de courte durée. Une princesse éclairée, la landgrave de Hesse-Darmstadt, l’emmena avec elle à Saint-Pétersbourg. Ses lettres détaillées étendirent ma connaissance du monde, et il me fut d’autant plus facile d’en faire mon profit, que c’était une main amie et connue qui traçait ces peintures. Néanmoins son départ me laissa longtemps très-solitaire, et c’était justement dans cette conjoncture importante que je me voyais privé de son intelligente sympathie, qui m’était si nécessaire. En effet, de même qu’on prend la résolution de se faire soldat et d’aller à la guerre ; qu’on se propose courageusement d’affronter les périls et les fatigues, les blessures, les souffrances et même la mort, mais sans se re-