Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/50

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

funeste à l’enfant, d’observer l’injustice des partis, en ce qu’il s’accoutumait ainsi à s’éloigner de personnes estimées et chéries. Les faits d’armes et les événements qui se succédaient sans cesse ne laissaient aux partis ni repos ni relâche ; nous trouvions une triste jouissance à réveiller et ranimer toujours ces maux imaginaires et ces querelles de fantaisie, et nous continuâmes à nous tourmenter les uns les autres, jusqu’au temps où les Français, quelques années plus tard, occupèrent Francfort, et apportèrent dans nos demeures un malaise véritable.

Or, quoique le grand nombre ne trouvât dans ces mémorables événements, qui se passaient loin de nous, qu’un sujet de conversation passionnée, il y avait d’autres personnes qui voyaient fort bien la gravité de ces conjonctures, et qui craignaient, si la France prenait part ;i la guerre, que notre pays n’en devînt aussi le théâtre. On retenait les enfants à la maison plus qu’auparavant, et l’on cherchait de diverses manières à nous occuper et à nous amuser. Dans ce but, on avait remis en état les marionnettes que notre grand’mère nous avait laissées, et nous les avions établies de façon que les spectateurs étaient assis dans ma mansarde ; les acteurs, les personnes qui les dirigeaient, tout comme le théâtre même et l’avant-scène, trouvaient place dans une chambre voisine. En admettant, par faveur particulière, comme spectateurs, tantôt un petit garçon, tantôt un autre, je me fis, au commencement, beaucoup d’amis ; mais l’inquiétude qui est propre aux enfants ne leur permettait pas de rester longtemps spectateurs tranquilles : ils troublaient le jeu, et nous dûmes nous choisir un public plus jeune, qui pourrait, à tout événement, être maintenu dans l’ordre par les nourrices et les bonnes. Nous avions appris par cœur le grand drame pour lequel la troupe des marionnettes avait été d’abord organisée, et, dans le commencement, ce fut la seule pièce que nous jouâmes ; mais cela nous fatigua bientôt ; nous changeâmes la garde-robe, les décorations, et nous hasardâmes de jouer diverses pièces, qui, à vrai dire, étaient trop étendues pour un si petit théâtre. Mais, si ces prétentions nuisirent et même enfin s’opposèrent à ce que nous aurions pu exécuter, cependant cette récréation et cette occupation enfantines exercèrent et développèrent chez moi, de manières très-