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éveilla dans mon esprit eut dans la suite cette fâcheuse conséquence, que je me livrai à ces exercices d’une manière plus décousue et plus négligée, et donnai ainsi moi-même à l’oracle l’occasion de s’accomplir. Du moins cela me dégoûta pour le moment du monde extérieur ; je m’abandonnai à mes imaginations et à mes sentiments, et, tantôt seul, tantôt, pour quelques moments, en compagnie d’un voyageur, je laissai peu à peu derrière moi les châteaux et les villages bien situés, Weilbourg, Limbourg, Diez et Nassau.

Au bout de quelques jours d’une si agréable promenade, j’arrivai à Ems, où je pris quelques bains agréables, puis je descendis la rivière en bateau. Alors se produisit devant moi le vieux Rhin. La belle situation d’Oberlahnstein me ravit ; mais je trouvai surtout magnifique et majestueux le château d’Ehrenbreistein, qui se dressait là, complètement armé, dans sa force et sa puissance. Dans un contraste infiniment aimable, s’étendait à ses pieds le petit village de Thaï, aux jolies maisons, où je sus trouver aisément la demeure du conseiller intime, M. de La Roche. Annoncé par Merck, je reçus un accueil très-amical de cette noble famille, qui me traita sur-le-champ comme un des siens. Mes inclinations littéraires et sentimentales me lièrent avec la mère, ma joyeuse mondanité avec le père, et ma jeunesse avec les filles.

La maison, située au bout du village, peu élevée au-dessus du fleuve, jouissait, en aval, d’une libre perspective. Les chambres étaient hautes et spacieuses, et les murs couverts de tableaux, qui se touchaient comme dans les galeries. De toutes parts, chaque fenêtre formait le cadre d’un tableau naturel, que l’éclat d’un soleil propice faisait très-vivement ressortir. Je ne croyais pas avoir jamais vu des matinées aussi sereines et des soirées aussi magnifiques.

Je ne fus pas longtemps le seul hôte de la maison. Au congrès, moitié artiste, moitié sentimental, qui devait se tenir chez Mme de La Roche, était aussi invité Leuchsenring, qui arriva de Dusseldorf. Très-instruit dans la littérature moderne, il avait fait beaucoup de connaissances dans plusieurs voyages, surtout pendant un séjour en Suisse, et, comme il était agréable et insinuant, il s’était fait aussi beaucoup d’amis. Il portait avec lui