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ture intérieure et extérieure, et de la laisser agir elle-même en l’imitant avec amour.

À cette activité, qui ne cessait en moi ni jour ni nuit, il s’offrait deux grands sujets, deux sujets immenses, tels qu’il me suffisait d’en apprécier un peu la richesse pour produire quelque chose de marquant. C’était l’époque ancienne, dans laquelle tombe la vie de Gœtz de Berlichingen, et la nouvelle, dont le malheureux épanouissement est retracé dans Werther. J’ai déjà parlé de mes préparations historiques au premier travail ; je dois exposer maintenant les causes morales du second.

La résolution que j’avais prise de laisser agir selon ses tendances particulières ma nature intérieure, et de laisser la nature extérieure agir sur moi selon ses qualités, me plongea dans le milieu étrange dans lequel Werther fut conçu et fut écrit. Je cherchais à me dégager intérieurement de toute influence étrangère, à observer le monde extérieur avec amour, et à laisser tous les êtres agir sur moi chacun à sa manière, depuis l’homme jusqu’aux plus infimes qui nous soient encore perceptibles. Il en résulta une merveilleuse parenté avec chaque objet de la nature et un accord intime, une si parfaite harmonie avec l’ensemble, que tout changement, qu’il eût pour objet les lieux, les heures et les saisons ou tout ce qui pouvait arriver, m’affectait profondément. Le regard du peintre s’unissait au regard du poëte. La belle contrée champêtre, animée par la douce rivière, augmentait mon inclination pour la solitude, et favorisait mes méditations secrètes, qui s’étendaient de tous côtés. Mais, depuis que j’avais quitté le cercle de famille de Sesenheim, et ensuite mon cercle d’amis de Francfort et de Darmstadt, il m’était resté dans le cœur un vide que je ne pouvais remplir : je me trouvais donc dans un état où une inclination, pourvu qu’elle se produise un peu déguisée, peut nous surprendre à l’improviste et anéantir toutes nos bonnes résolutions.

Arrivé à ce point de son entreprise, l’auteur se sent, pour la première fois, le cœur à l’aise dans son travail : car c’est d’ici seulement que ce livre devient ce qu’il doit être. Il ne s’est pas annoncé comme une œuvre indépendante ; il est plutôt destiné à combler les lacunes d’une vie d’auteur, à compléter divers