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moitié réel, d’action et de réaction, dans lequel nous avons pu voir plus tard les dénonciations et les excitations les plus violentes, que les gazetiers et les journalistes se permettaient, avec une sorte de fureur, sous l’apparence de la justice, et ils exerçaient une action irrésistible, parce qu’ils faisaient croire au public qu’il était le véritable tribunal : pure folie, car le public n’a point de pouvoir exécutif, et, dans l’Allemagne morcelée, l’opinion publique ne faisait ni bien ni mal à personne. Chez nous autres jeunes gens, on n’apercevait rien de pareil, qui eût mérité le blâme : nous étions dominés par une idée voisine qui, formée de poésie, de moralité et d’un noble zèle, était innocente mais inféconde.

Klopstock, en publiant sa Bataille de Hermann et en la dédiant à l’empereur Joseph II, avait produit un mouvement merveilleux. Les Germains se délivrant de la tyrannie romaine offraient une magnifique et puissante peinture, bien propre à réveiller le sentiment national. Mais, comme, en temps de paix, le patriotisme ne consiste proprement qu’à balayer chacun devant sa porte, à remplir son office, à apprendre sa leçon, pour que tout aille bien au logis, le sentiment national éveillé par Klopstock ne trouvait aucun objet sur lequel il pût s’exercer. Frédéric avait sauvé l’honneur d’une partie des Allemands contre une ligue générale, et il était permis à chaque membre de la nation, en applaudissant et honorant ce grand prince, de prendre part à ses victoires. Mais que faire maintenant de cette bravoure guerrière qu’on provoquait ? Quelle direction devait-elle prendre et quels effets produirait-elle ? Ce fut d’abord une simple forme poétique, et les chants des bardes, si souvent critiqués dans la suite, et trouvés même ridicules, s’amoncelèrent par cette impulsion, par ce choc. On n’avait point d’ennemis extérieurs à combattre : on imagina des tyrans, et les princes et leurs serviteurs durent prêter à cet effet leurs figures, d’abord en général, puis peu à peu même en particulier, et la poésie se joignit avec violence à ce mouvement que nous avons signalé, à cette intervention dans l’administration de la justice, et c’est une chose remarquable de voir, de ce temps-là, des poésies dont la tendance générale est de détruire toutes les sommités, monarchiques ou aristocratiques.