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ce manège était public, et il ne fallait pas en parler. La liste de tous les membres de l’ordre fut imprimée avec autant de cérémonie qu’un almanach impérial ; et, si quelques familles s’en moquaient, et osaient déclarer toute l’affaire absurde et ridicule, on intriguait, pour les punir, tant et si bien, qu’on parvenait à décider un sérieux époux ou un proche parent à entrer dans la société et à recevoir l’accolade ; et le chagrin de ses proches devenait le sujet d’une maligne joie.

Dans cette chevalerie se perdait encore un ordre bizarre qui devait être philosophique et mystique, et qui n’avait point de nom particulier. Le premier degré s’appelait le passage ; le second, le passage du passage ; le troisième, le passage du passage au passage ; et le quatrième, le passage du passage au passage du passage. Expliquer le sens profond de cette suite de degrés était le devoir des initiés, et l’on y procédait en se réglant sur un petit livre imprimé, dans lequel ces expressions étranges étaient expliquées, ou plutôt amplifiées d’une manière plus étrange encore. S’occuper de ces choses était le passe-temps favori. La folie de Behrisch et la déraison de Lenz semblaient réunies : je me borne à répéter qu’il n’y avait pas derrière ces symboles l’apparence d’un dessein.

Je m’étais associé très-volontiers à ces badinages ; j’avais même eu l’idée, le premier, de mettre en ordre les fragments des Quatre fils Aymon, et proposé la manière en laquelle ils seraient lus dans les fêtes et les solennités ; je savais moi-même les débiter avec emphase : cependant je m’étais bientôt lassé de tout cela, et, comme je regrettais ma société de Francfort et de Darmstadt, je fus charmé d’avoir trouvé Gotter, qui me voua une sincère affection, que je lui rendis de bon cœur. Son esprit était délicat, clair et serein, son talent exercé et réglé ; il s’attachait à l’élégance française, et il aimait la partie de la littérature anglaise qui s’occupe d’objets agréables et moraux. Nous passâmes ensemble beaucoup de belles heures à nous communiquer mutuellement nos connaissances, nos projets et nos goûts. Il m’excita à divers petits travaux, et, comme il était lié avec les littérateurs de Gœtlingue, il me demanda particulièrement quelques-unes de mes poésies pour l’almanach de Boie.