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bout siégeait le commandeur, à côté de lui le chancelier, puis les officiers les plus importants ; venaient ensuite les chevaliers, rangés selon l’ancienneté ; les étrangers en passage devaient se contenter du bas bout, et la conversation était, le plus"souvent, inintelligible pour eux, parce que, indépendamment des expressions chevaleresques, la langue de la société s’était enrichie de nombreuses allusions. Chacun recevait un nom de chevalier, avec un surnom. Ils me nommèrent Gœtz de Berlichingen, le loyal. Je méritais le nom par l’attention que j’avais vouée à ce brave patriarche allemand, et le surnom par mon attachement et mon dévouement sincère aux hommes éminents dont je fis la connaissance. Pendant ce séjour, j’eus de grandes obligations au comte de Kielmannsegg : c’était le plus sérieux de tous, un homme très-capable et très-sûr. De Goué était un personnage difficile à déchiffrer et à décrire, une figure âpre, large, hanovrienne, un esprit renfermé en lui-même ; il ne manquait pas de talents en divers genres. On soupçonnait qu’il était enfant naturel. Il se plaisait dans une certaine manière mystérieuse, et dissimulait sous diverses bizarreries ses désirs et ses projets véritables. C’est ainsi qu’il était vraiment l’âme de cette société chevaleresque, sans avoir prétendu à la place de commandeur. Au contraire, ce chef de l’ordre étant venu à manquer dans ce temps-là, il en fit nommer un autre, et il exerça par lui son influence. Il savait aussi tirer parti de petits incidents pour les faire paraître considérables, et les rendre susceptibles d’être développés sous forme de fictions. Mais, dans tout cela, on ne pouvait remarquer aucun but sérieux ; il ne songeait qu’à charmer l’ennui que devaient lui causer, comme à ses collègues, ces affaires qui traînaient en longueur; il ne voulait que remplir le vide, fût-ce avec des toiles d’araignée. Au reste, cette comédie était traitée de l’air le plus sérieux du monde, sans que personne dût trouver ridicule qu’un moulin fût qualifié de château, et le meunier de burgrave, que l’on déclarât les Quatre fils Aymon un livre canonique, et qu’on en lût avec respect des passages dans les cérémonies. L’accolade même était donnée avec les symboles traditionnels, empruntés à divers ordres de chevalerie. Une des principales plaisanteries consistait à traiter mystérieusement ce qui était manifeste. Tout