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et pourtant lentes et sans objet : on allait plus vite, plus gaiement et plus commodément à son but. Les jeunes camarades revinrent à l’escrime ; mais surtout il s’ouvrit à nous un monde nouveau à l’entrée de l’hiver. Je me décidai tout à coup à patiner, ce que je n’avais jamais essayé, et, en peu de temps, par l’exercice, la réflexion et la persévérance, je fis les progrès nécessaires pour prendre avec la foule mes ébats sur la plaine de glace, sans vouloir précisément me distinguer.

Cette nouvelle et joyeuse activité, nous en étions aussi redevables à Klopstock, à son enthousiasme pour cet heureux mouvement ; enthousiasme que des renseignements particuliers confirmaient, et dont ses odes présentaient l’irrécusable témoignage. Je me rappelle fort bien que, par une claire matinée d’un froid glacial, sautant à bas du lit, je déclamai ces passages : « Déjà, dans le joyeux sentiment de la santé, bien loin, le long du rivage, j’ai tracé un blanc sillon sur la plaine de cristal… Comme le jour d’hiver, qui se lève, éclaire le lac doucement ! La nuit a semé sur son étendue un givre étincelant, pareil aux étoiles. »

Ma résolution, indécise et chancelante, fut fixée sur le-champ, et je courus tout droit à la place où un si vieux commençant pouvait entreprendre avec quelque convenance ses premiers exercices. Et certes il méritait bien d’être recommandé par Klopstock, ce déploiement de forces qui nous met en contact avec la plus vive enfance, qui provoque le jeune homme à jouir de toute sa souplesse, et qui est fait pour prévenir l’engourdissement de la vieillesse. Aussi ce plaisir devint-il pour nous une passion. Un beau dimanche passé sur la glace ne nous suffisait pas ; nous poursuivions nos promenades bien tard dans la nuit. Car, tandis que les autres exercices fatiguent le corps, celui-ci lui imprime un élan toujours nouveau. La pleine lune, se montrant des nuages sur les vastes prairies nocturnes, converties en plaines de glace ; la brise de la nuit, murmurant à l’encontre de notre course, le grave tonnerre de la glace, qui s’affaissait quand l’eau venait à décroître, le retentissement étrange de nos propres mouvements, nous représentaient avec une vérité parfaite les scènes d’Ossian. Tantôt l’un tantôt l’autre de ; amis faisait entendre, dans un demi-chant déclamatoire, une