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de la Fahrgasse, après quoi, je poursuivais ma route. Plus que jamais, je cherchais le vaste monde et la libre nature. Chemin faisant, je chantais des hymnes et des dithyrambes étranges, dont un s’est conservé sous le titre de Chant d’orage du pèlerin[1]. J’allais chantant avec entraînement cette demi-extravagance, surpris en chemin par un temps affreux, qu’il me fallait braver.

Mon cœur était libre et désoccupé ; j’évitais scrupuleusement toute liaison intime avec les femmes, et c’est pourquoi, ignorant et inattentif, je ne sus pas voir un amoureux génie qui planait autour de moi secrètement. Une aimable et tendre femme nourrissait pour moi un attachement silencieux, que je n’aperçus point, et, par là même, je me montrais plus agréable et plus gai dans sa société bienfaisante. Ce fut seulement plusieurs années après, seulement après sa mort, que j’appris cet amour secret et céleste, d’une manière propre à m’émouvoir ; du moins, irréprochable moi-même, je pus verser des larmes pures et sincères sur un être irréprochable, avec d’autant plus de douceur que cette découverte tombait sur une époque où j’étais absolument sans passion et où j’avais le bonheur de vivre pour moi et pour mes goûts intellectuels.

Dans le temps où la situation de Frédérique me causait une douleur cruelle, suivant mon ancienne habitude, je cherchai de nouveau mon recours dans la poésie. Je continuai ma confession poétique accoutumée, pour mériter par cette expiation volontaire l’absolution de ma conscience. Les deux Marie, dans Gœtz de Berlichingen et dans Clavijo, et les deux tristes rôles que jouent leurs amants, pourraient bien avoir dû la naissance à ces pensées de repentir.

Mais, comme les blessures et les maladies se guérissent promptement dans la jeunesse, parce qu’une organisation saine peut soutenir l’état morbide et laisser à la guérison le temps d’arriver, ainsi, dans plusieurs occasions favorables, les exercices corporels produisirent heureusement leurs effets salutaires, et je fus porté de mille manières à une courageuse résolution, à des joies et des jouissances nouvelles. Le cheval remplaça peu à peu les promenades à pied, nonchalantes, mélancoliques, pénibles

  1. Tome I, page 195.