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comme quelque chose de sacré, et l’on regardait presque comme une simonie de se les faire payer. Les auteurs et les éditeurs étaient dans les relations les plus singulières. Ils semblaient être, de part et d’autre, selon qu’on voulait le prendre, patrons et clients. Les auteurs qui, à côté de leur talent, étaient d’ordinaire considérés et honorés par le public comme des hommes d’une haute culture morale, avaient la supériorité intellectuelle, et se sentaient récompensés par la jouissance du travail ; les éditeurs se contentaient de la seconde place et faisaient des bénéfices considérables. Mais bientôt l’opulence éleva le riche libraire au-dessus du pauvre poète, et tout se trouva dans le plus bel équilibre. Les échanges de générosité et de reconnaissance n’étaient pas rares. Breitkopf et Goltsched logèrent toute leur vie sous le même toit. La lésinerie et la bassesse, surtout des contrefacteurs, n’étaient pas encore à l’ordre du jour.

Néanmoins il s’était produit parmi les auteurs allemands un mouvement général. Ils comparaient leur situation très-modeste, et même pauvre, avec la richesse des libraires en renom ; ils considéraient combien était grande la renommée d’un Gellert, d’un Rabener, et dans quelle gêne domestique devait végéter en Allemagne un écrivain universellement aimé, s’il ne se créait par quelque industrie une existence plus facile. Les médiocres et les petits esprits sentaient eux-mêmes un vif désir de voir leur position améliorée et de se rendre indépendants des éditeurs. C’est alors que Klopstock offrit par souscription sa République des lettres. Quoique les derniers chants de la Messiade, soit à cause du fond soit à cause de la forme, n’eussent pu produire le même effet que les premiers, qui, naïfs et purs eux-mêmes, avaient paru dans une époque naïve et pure, le respect pour le poète était toujours le même et la publication de ses Odes lui avait gagné les cœurs et les esprits de beaucoup de monde. Nombre d’hommes bien pensants, parmi lesquels plusieurs exerçaient une grande influence, offrirent de recevoir d’avance le prix, qui fut fixé à un louis d’or, car, disait-on, il ne s’agissait pas tant de payer le livre que de récompenser l’auteur à cette occasion, pour ses mérites envers la patrie. L’empressement fut général. Des jeunes gens, des jeunes filles, qui n’avaient guère à dépenser, ouvrirent leur épargne ; hommes et femmes, la haute classe, la classe moyenne, contribuèrent à cette sainte largesse, et mille personnes peut-être payèrent d’avance. L’attente était au comble, la confiance absolue.

Par là, l’ouvrage dut trouver, à son apparition, l’accueil le plus étrange du monde. Il était toujours d’un mérite marquant, mais il n’était nullement d’un intérêt général. Les idées de Klopstock sur la poésie et la littérature étaient exposées sous la forme d’une ancienne république druidique allemande, et ses principes sur le vrai et le faux, exprimés en adages laconiques, où l’instruction était parfois sacrifiée à l’étrangeté de la forme. Pour les écrivains et les littérateurs, ce livre était et il est encore inestimable, mais c’est dans cette sphère seulement qu’il pouvait être efficace et utile. Qui avait pensé lui-même suivait le penseur ; qui savait chercher et estimer le vrai se trouvait instruit par cet honnête et solide esprit : quant au simple amateur, il n’était pas éclairé ; le livre restait scellé pour lui, et pourtant on l’avait mis dans toutes les