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Je ne renonce pas à l’espérance de publier une édition des ouvrages de Hamann, ou du moins de l’encourager. Et quand ces importants documents seront sous les yeux du public, il sera temps de parler plus en détail de l’auteur, de son esprit et de son caractère. En attendant, je veux ajouter ici quelques réflexions, car il existe encore des hommes éminents qui lui ont aussi voué leur affection et dont l’adhésion ou les avis me seront très-agréables. Le principe auquel peuvent se réduire toutes les assertions de Hamann est celui-ci : tout ce que l’homme entreprend de produire, que ce soit par l’action ou par le langage, doit résulter de tout l’ensemble des forces ; toute œuvre isolée est mauvaise. Maxime admirable, mais difficile à suivre. Elle peut être observée dans la vie et dans les arts, mais, dans toute production littéraire, qui n’est pas précisément poétique, la difficulté est grande ; car le langage doit se décomposer, il doit se démembrer, pour exprimer, pour signifier quelque chose. L’homme, lorsqu’il parle, doit, pour le moment, devenir exclusif : point de communication, point d’enseignement, sans analyse. Or, comme Hamann répugnait absolument à cette séparation et qu’il voulait parler comme il sentait, imaginait et pensait, dans l’unité, et qu’il demandait aux autres la même chose, il se trouvait en contradiction avec son propre style et avec tout ce que les autres pouvaient produire. Aussi, pour faire l’impossible, s’empare-t-il de tous les éléments ; les plus profondes et les plus mystérieuses contemplations, où la nature et l’esprit se rencontrent en secret, de brillants éclairs de sagesse, qui reluisent de ce concours, des images frappantes, qui planent dans ces régions, des maximes pressantes, empruntées aux écrivains sacrés et profanes, et tout ce qu’on peut ajouter encore d’humoristique, tout cela compose le merveilleux ensemble de son style, de ses écrits. Si l’on ne peut le suivre dans la profondeur, se promener avec lui sur les cimes, se saisir des figures qui planent devant lui, deviner exactement le sens d’un simple renvoi à un passage tiré d’une lecture immense : plus nous l’étudierons, plus nous serons enveloppés d’une obscurité profonde, qui ne fera que s’accroître avec le temps, parce que les allusions de Hamann étaient principalement dirigées sur certaines particularités qui dominaient momentanément dans la société et dans la littérature. Ma collection renferme quelques-unes de ses brochures, où il a cité en marge, de sa main, les endroits auxquels se rapportent ses allusions. Si l’on y recourt, cela produit une double lumière chatoyante d’un effet extrêmement agréable, mais il faut renoncer absolument à ce qu’on appelle d’ordinaire « comprendre. » Ces feuilles méritent encore le nom de sibyllines, parce qu’on ne peut les considérer en elles-mêmes et pour elles-mêmes, mais qu’il faut attendre l’occasion où peut-être on aura lieu de recourir à leurs oracles. Chaque fois qu’on les parcourt, on croit y trouver quelque chose de nouveau, parce que le sens inhérent à chaque passage nous frappe et nous impressionne diversement.

Je n’ai pas connu Hamann personnellement, et je n’ai jamais été avec lui en correspondance directe. Il était, me semble-t-il, d’une netteté parfaite dans ses relations de société et d’amitié, et avait un sentiment très-juste des rapports des hommes entre eux et avec lui. Toutes les lettres que j’ai lues de lui sont excellentes et bien plus intelligibles que