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car on peut observer que les écoliers, à qui tout doit servir de jouet, s’amusent du son des mots, de la chute des syllabes, et, par une sorte de parodie folâtre, détruisent le fonds du plus noble ouvrage. C’est pourquoi je demande s’il ne conviendrait pas d’entreprendre d’abord une traduction en prose des poëmes d’Homère ; mais il faudrait qu’elle fût digne du degré où se trouve actuellement la littérature allemande. J’abandonne cette idée et tout ce que j’ai dit aux méditations de nos dignes pédagogues, qui ont là-dessus les lumières d’une expérience étendue. Je citerai seulement, à l’appui de ma proposition, la traduction de la Bible par Luther : car cet homme excellent, en nous donnant dans la langue maternelle, et comme d’un seul jet, cet ouvrage écrit du style le plus divers, avec le ton poétique, historique, législatif et didactique, a plus avancé la religion que s’il avait voulu reproduire en détail les particularités de l’original. C’est en vain qu’on s’est efforcé plus tard de nous faire goûter dans leur forme poétique le livre de Job, les Psaumes et les autres ouvrages lyriques. Pour la foule, sur laquelle il faut agir, une traduction coulante est toujours la meilleure. Ces traductions critiques, qui rivalisent avec l’original, ne servent proprement qu’à amuser les savants entre eux.

C’est ainsi que, dans les traductions et dans l’original, par des fragments et par l’ensemble, par des extraits et des passages, Shakspeare exerça sur noire société de Strasbourg une telle influence, que, de même qu’en a des hommes forts sur la Bible, nous nous rendîmes peu à peu forts sur Shakspeare ; nous imitions dans nos conversations les qualités et les défauts de son temps, qu’il nous fait connaître ; nous prenions le plus grand plaisir à ses Quibbles, et nous rivalisions avec lui, soit en les traduisant, soit par des boutades originales. Je fus pour beaucoup dans l’affaire par mon enthousiasme, qui surpassait encore celui des autres. La joyeuse profession de foi que quelque chose de sublime plane au-dessus de moi fut contagieuse pour mes amis, qui s’abandonnèrent tous à ce sentiment. Nous ne contestions pas qu’il était possible de mieux connaître de tels mérites, de les comprendre, de les juger avec discernement, mais nous nous réservions ce travail pour la suite. En attendant, nous ne voulions autre chose qu’une joyeuse sympathie, une imitation vivante, et, au milieu de si grandes jouissances, nous ne voulions pas fouiller et critiquer l’homme qui nous les donnait ; nous étions heureux, au contraire, de l’honorer sans réserve.

Si l’on veut apprendre directement ce qui fut pensé, exprimé et débattu dans cette société vivante, on devra lire le mémoire de Herder sur Shakspeare, dans la brochure De la manière et de l’art allemands et les Remarques sur le théâtre par Lenz, auxquelles fut jointe une traduction des Lovels labours lost. Herder pénètre dans les profondeurs du génie de Shakspeare et les expose admirablement ; Lenz se comporte plutôt en iconoclaste envers la tradition du théâtre, et il ne veut plus entendre parler que de Shakspeare. Puisque je suis amené à faire ici mention de cet homme, aussi distingué que bizarre, c’est le moment d’en dire quelques mots par forme d’essai.

Je ne fis sa connaissance que vers la fin de mon séjour à Strasbourg.