Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/434

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

enfants et aux moineaux qu’il faut le demander. » C’étaient là nos proverbes favoris, et ce livre, véritable quintessence de la vieillesse, nous parut fade et même insipide. Tout devait être nécessairement, et, par conséquent, il n’y avait point de Dieu. Mais, demandions-nous, un Dieu ne pourrait-il pas aussi être nécessairement ? Nous accordions, il est vrai, que nous ne pouvions guère nous soustraire aux nécessités des jours et des nuits, des saisons, des influences du climat, des circonstances physiques et animales : cependant nous sentions en nous quelque chose qui apparaissait comme volonté parfaite, et quelque chose encore qui cherchait à se mettre en équilibre avec cette volonté. L’espérance de devenir toujours plus raisonnables, de nous rendre toujours plus indépendants des objets extérieurs et aussi de nous-mêmes, nous ne pouvions y renoncer. Le mot de liberté sonne si bien, qu’on ne pourrait s’en passer, lors même qu’il n’exprimerait qu’une erreur.

Aucun de nous n’avait lu le livre jusqu’au bout, car nous trouvions déçue l’attente dans laquelle nous l’avions ouvert. On nous annonçait un système de la nature, et nous espérions, par conséquent, apprendre quelque chose sur la nature, notre idole ; la physique et la chimie, l’astronomie et la géographie, l’histoire naturelle et l’anatomie, d’autres sciences encore, avaient, depuis des années et jusqu’à ce jour, porté notre attention sur le magnifique et vaste univers, et nous aurions recueilli avec joie des notions, soit détaillées soit générales, sur les soleils et les astres, les planètes et les satellites, les montagnes, les vallées, les fleuves et les mers, et sur tous les êtres qui y vivent et respirent. Nous ne doutions point qu’il ne se trouvât dans cet ouvrage bien des choses que le commun des hommes pouvait juger nuisibles, le clergé, dangereuses, l’État, intolérables, et nous espérions que ce petit livre aurait supporté dignement l’épreuve du feu. Mais quel désert, quel vide nous sentîmes dans ce triste et nébuleux athéisme, où disparaissait la terre avec toutes ses figures, le ciel avec toutes ses étoiles ! Il y aurait eu une matière de toute éternité, et, de toute éternité, en mouvement ; et, par ce mouvement à droite et à gauche et de tous côtés, elle aurait, sans autre secours, produit les immenses phénomènes de l’être. Tout cela, nous aurions pu à la rigueur l’accepter, si l’auteur, avec sa matière en mouvement, avait en effet construit le monde devant nos yeux. Mais il paraissait en savoir aussi peu que nous sur la nature ; car, après avoir établi, comme des jalons, quelques idées générales, il les abandonne aussitôt, pour transformer ce qui apparaît comme plus élevé que la nature, ou du moins comme une nature plus élevée dans la nature, en une nature matérielle, pesante, qui se meut, il est vrai, mais sans direction et sans forme, et, par là, il croit avoir beaucoup gagné. Si pourtant ce livre nous causa quelque tort, ce fut celui de nous faire prendre à jamais en aversion toute philosophie et particulièrement la métaphysique, et de nous porter, avec une vivacité et une ardeur nouvelles, vers la science vivante, l’expérience, l’action et la poésie.

C’est ainsi qu’à la frontière de la France, nous fûmes tout d’un coup affranchis et dégagés de l’esprit français. Nous trouvions leur manière de vivre trop arrêtée et trop aristocratique, leur poésie froide, leur cri-