Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/431

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il me suffisait de savoir que la vallée du Rhin avait été un vaste lac, un golfe immense ; on ne pouvait m’en ôter la conviction. Je songeais plutôt à m’avancer dans la connaissance des terres et des montagnes, quel que put être le résultat de mes recherches.

La littérature française était donc vieille et aristocratique en elle-même et par Voltaire. Ajoutons encore quelques réflexions sur cet homme remarquable. Une vie active et répandue, la politique, la richesse, des relations avec les dominateurs du monde, pour le dominer à son tour au moyen de ces relations : tel avait été dès sa jeunesse l’objet des vœux et des efforts de Voltaire. Rarement un homme se soumit à une telle dépendance pour être indépendant. Il réussit même à subjuguer les esprits : la nation fut à lui. Vainement ses adversaires déployèrent-ils de médiocres talents et une prodigieuse haine : rien ne lui put nuire. Il ne réussit jamais, il est vrai, à gagner la faveur de la cour, mais, en revanche, des monarques étrangers furent ses tributaires ; la grande Catherine et le grand Frédéric, Gustave de Suède, Christian de Danemark, Poniatowski de Pologne, Henri de Prusse, Charles de Brunswyk, se reconnurent ses vassaux ; des papes même crurent devoir l’apprivoiser par quelque condescendance. Si Joseph II se tint éloigné de lui, cela ne fit pas trop d’honneur à ce prince, car ses entreprises n’en auraient pas plus mal tourné, si, avec sa belle intelligence, avec ses nobles sentiments, il eût été un peu plus spirituel et meilleur juge de l’esprit.

Ce que je présente ici en abrégé, et dans un-certain enchaînement, retentissait alors sans liaison et sans utilité à nos oreilles, comme le cri du moment, comme une discordante cacophonie. On n’entendait jamais que l’éloge des morts. On demandait, du bon, du nouveau, mais, les choses les plus nouvelles, on n’en voulait jamais. À peine un patriote français eut-il présenté sur la scène, dès longtemps glacée, de nobles sujets ; à peine le Siège de Calais eut-il remporté un sucées d’enthousiasme, que cette pièce patriotique, avec toutes ses pareille, fut déclarée creuse et mauvaise à tous égards. Les peintures de mœurs de Destouches, aux-quelles, jeune garçon, j’avais pris plaisir si souvent, étaient jugées faibles ; le nom de cet honorable auteur était oublié. Et combien d’autres écrivains ne devrais-je pas nommer, au sujet desquels j’essuyais le reproche de juger en provincial, lorsque, en présence de personnes entraînées par le nouveau courant littéraire, j’avais montré quelque sympathie pour ces auteurs et leurs ouvrages !

Aussi, nous autres jeunes Allemands, nous étions plus mécontents tous les jours. Selon notre manière de sentir, selon notre nature propre, nous aimions à fixer les impressions des objets, à les mûrir lentement, et, s’il fallait absolument les laisser échapper, que ce fût le plus tard possible. Nous étions persuadés que, par une attention fidèle, par une application soutenue, on peut tirer quelque chose de tout, et qu’à force de persévérance, on doit enfin arriver à un point où, en même temps que le jugement, on en peut exprimer aussi la raison. Nous savions reconnaître que la grande et admirable société française nous offrait bien des avantages et des conquêtes. Rousseau nous avait charmés. Cependant, quand nous considérions sa vie et son sort, nous le voyions, pour suprême ré-