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nes, pris en masse, manquaient de goût, et Voltaire lui-même ne pouvait échapper tout à fut à cette critique souveraine. Déjà auparavant, et à diverses reprises, ramenés à la nature, nous ne voulûmes donc rien admettre que la vérité et la sincérité du sentiment, et son expression vive et forte.

L’amitié, l’amour, la fraternité,
Ne se produisent-ils pas d’eux-mêmes ?

Tel fut le mot d’ordre et le cri de guerre, avec lequel les membres de notre petite bande universitaire avaient coutume de se reconnaître et de s’encourager. Cette maxime régnait dans tous nos banquets fraternels, où le cousin Michel[1], avec sa nationalité bien connue, venait souvent égayer nos soirées.


Si l’on ne veut voir dans ce que je viens d’exposer que des mobiles extérieurs, accidentels, et des particularités personnelles, je dirai que la littérature française avait en elle certaines qualités qui devaient moins attirer que repousser un jeune homme plein d’ardeur. Elle était vieille et aristocratique, et ces deux caractères ne peuvent charmer la jeunesse, qui cherche autour d’elle la jouissance et la liberté. Depuis le seizième siècle, on n’avait jamais vu la marche de la littérature française complètement interrompue ; les troubles intérieurs, politiques et religieux, aussi bien que les guerres extérieures, avaient même hâté ses progrès ; mais on affirmait généralement qu’il y avait déjà cent ans qu’elle avait brillé dans tout son éclat. Par l’effet de circonstances favorables, une riche moisson avait mûri tout à coup et avait été heureusement récoltée, en sorte que les plus grands talents du dix-huitième siècle devaient se contenter modestement d’un glanage.

Cependant beaucoup de choses avaient vieilli, et d’abord la comédie, qui avait besoin d’être renouvelée sans cesse, pour se plier, moins parfaite, il est vrai, mais avec un intérêt nouveau, à la vie ri aux mœurs. Pour les tragédies, un grand nombre avaient disparu du théâtre, et Voltaire ne laissa pas échapper l’occasion solennelle qui lui fut offerte de donner une édition des œuvres de Corneille, pour montrer les nombreux défauts de son devancier, que, selon l’opinion générale, il n’avait pas atteint. Et ce Voltaire lui-même, la merveille de son temps, était maintenant vieilli comme la littérature, qu’il avait, vivifiée et dominée pendant près d’un siècle. À côté de lui existaient et végétaient encore de nombreux littérateurs, d’âge plus ou moins actif, plus ou moins heureux, qui disparaissaient peu à peu. L’influence de la société sur les écrivains augmentait sans cesse ; car la bonne société, composée des nobles, des grands et des riches, choisissait pour un de ses principaux

  1. C’est un type national. Voyez tome I, p. 54.