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Un des jours suivants, elle réclama ces services avec assurance, et me dit à part que ces dames désiraient m’entendre lire. Les demoiselles de la maison avaient beaucoup parlé de la chose, car, à Sésenheim, je lisais ce qu’on voulait et quand on voulait. Je fus bientôt prêt : seulement, je réclamai quelques heures de calme et d’attention. On les promit, et, dans une soirée, je lus sans interruption Hamlet tout entier, en me pénétrant du sens de la pièce autant que je sus faire, et en m’exprimant d’une manière vive et passionnée, comme il est donné à la jeunesse. Je recueillis beaucoup de louanges. Frédérique avait de temps en temps poussé de profonds soupirs, et une rougeur fugitive avait coloré ses joues. Ces deux symptômes d’un cœur tendre et agité, sous une sérénité et une paix apparentes, ne m’échappèrent point, et c’était l’unique récompense que j’avais souhaitée. Elle recueillit avec joie les remercîments qu’on lui adressa pour m’avoir décidé à lire, et, avec sa grâce accoutumée, elle ne se refusa pas la petite satisfaction d’avoir brillé en moi et par moi.

Cette visite à la ville ne devait pas durer longtemps, mais le départ fut retardé. Frédérique fit ce qu’elle put pour amuser la société ; je m’employai aussi de mon mieux. Mais les abondantes ressources qu’on trouve sans cesse à la campagne tarirent bientôt à la ville, et la situation devint d’autant plus pénible que peu à peu la sœur aînée perdit toute contenance. Elles étaient les seules de la société qui fussent habillées à l’allemande. Frédérique ne s’était jamais imaginée autrement, et se croyait partout assez bien comme cela : elle ne se comparait point ; mais Olivia trouvait insupportable de se montrer ainsi en habits de servante dans une société si distinguée. À la campagne, elle remarquait à peine chez les autres la toilette de la ville ; elle ne la désirait point : à la ville, elle ne pouvait souffrir celle de la campagne. Tout cela, joint aux autres avantages des demoiselles de la ville, à mille bagatelles d’un monde tout opposé, fermenta à tel point, pendant quelques jours, dans son cœur passionné, que je dus lui témoigner toutes les attentions les plus caressantes pour l’apaiser selon le vœu de Frédérique. Je craignais une scène passionnée. Je voyais le moment où elle se jetterait à mes pieds, pour me conjurer, partout ce qu’il y a de