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vrai, mais enfin je les vis en lieu clos, en rapport avec des tapis, des glaces, des pendules et des magots de porcelaine.

La relation qui nous lie avec ceux que nous aimons est si prononcée, que l’entourage signifie peu de chose ; mais le cœur demande que ce soit l’entourage convenable, naturel, accoutumé. Tout ce qui est présent m’affecte d’une manière si vive, que j’eus d’abord de la peine à me faire aux discordances du moment. La tenue décente, noble et tranquille de la mère convenait parfaitement pour cette société ; elle ne se distinguait pas des autres femmes. Olivia, au contraire, se montrait impatiente comme un poisson sur la rive. De même qu’elle m’appelait d’ordinaire dans le jardin, ou qu’elle m’attirait à l’écart dans la campagne, quand elle avait à me dire quelque chose de particulier, ici, elle suivait ses habitudes ; elle m’entraînait dans l’embrasure d’une fenêtre ; elle le faisait avec embarras et maladresse, parce qu’elle sentait que la chose n’était pas convenable, et pourtant elle la faisait. C’était pour me dire la chose la plus insignifiante du monde, tout ce que je savais déjà : qu’elle souffrait horriblement, qu’elle voudrait être au bord du Rhin, au delà du Rhin, même en Turquie. En revanche, Frédérique, dans cette situation, était extrêmement remarquable. A vrai dire, ce milieu ne lui convenait pas non plus, mais ce qui témoignait en faveur de son caractère, c’est qu’au lieu de se conformer à cette situation, elle modelait sans le savoir la situation sur elle. Ce qu’elle était pour la société à la campagne, elle l’était aussi à la ville. Elle savait animer chaque moment sans gêner personne, elle savait tout mettre en mouvement, et, par là même, elle mettait à l’aise la société, qui n’est proprement gênée que par l’ennui. De la sorte, elle remplissait parfaitement le désir de ses tantes, qui avaient voulu assister une fois, de leur canapé, à ces jeux et ces amusements champêtres. Frédérique avait-elle satisfait à leur désir, elle examinait et admirait sans envie la garderobe, les parures et les belles toilettes des cousines de la ville, habillées à la française. Elle n’était pas moins à son aise avec moi et me traitait comme toujours. Elle semblait ne me donner d’autre préférence que de m’adresser ses désirs et ses vœux plutôt qu’à un autre et de me reconnaître par là comme son serviteur.