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incidents désagréables nous troublèrent aussi peu dans notre vie sereine que le révérend Primerose et son aimable famille : des joies inattendues arrivaient à nous, à nos amis et à nos voisins ; on se communiquait mutuellement et l’on fêtait ensemble mariages et baptêmes, achèvement d’une bâtisse, héritages, gains à la loterie. Nous jouissions ensemble de tous les plaisirs, comme d’un bien commun, et nous savions les rehausser par l’esprit et l’amour. Ce ne fut pas la première ni la dernière fois que je me trouvai au sein d’une famille dans le moment de sa plus belle floraison, et, si j’ose me flatter d’avoir contribué en quelque chose à l’éclat de ces moments, je dois, en revanche, me reprocher de les avoir par là même précipités et fait plus tôt disparaître.

Mais notre amour eut encore une étrange épreuve à subir. Je dis une épreuve, et ce n’est pourtant pas le mot propre. La champêtre famille avec laquelle je m’étais lié avait à la ville des parents honorables et vivant dans l’aisance. Les jeunes gens de ces familles s’étaient rendus souvent à Sesenheim. Les personnes âgées, les tantes et les mères, moins allantes, entendaient dire tant de choses de la vie qu’on y menait, de la grâce croissante des jeunes filles et même de mon influence, qu’elles voulurent d’abord me connaître, et, après que je leur eus fait de nombreuses visites et que j’eus reçu d’elles aussi un bon accueil, elles demandèrent de nous voir tous ensemble, d’autant plus qu’elles croyaient devoir offrir à leur tour l’hospitalité à leurs amis de Sesenheim. La négociation fut longue. Il était difficile à la mère de quitter son ménage ; Olivia avait horreur de la ville, pour laquelle elle n’était pas faite ; Frédérique ne se sentait pour elle aucune inclination ; et la chose traîna en longueur, jusqu’à ce qu’enfin elle fut résolue, parce qu’il me devint impossible de me rendre de quinze jours à la campagne, et qu’où aima mieux se voir à la ville, avec quelque contrainte, que de ne pas se voir du tout. Ainsi donc mes jeunes amies, que j’étais accoutumé à voir sur une scène champêtre ; elles, dont l’image ne m’était jusqu’alors apparue que sur un fond de rameaux vacillants, de ruisseaux mobiles, de prairies ondoyantes, entourées d’un immense horizon : je les vis alors, pour la première fois, dans des chambres de ville, spacieuses, il est