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sous nos yeux, durant l’été, avec une apparence tout appétissante. Mais nous évitions ce côté, parce que nous ne pouvions y satisfaire notre friandise, et nous étions attirés par le côté opposé, où une haie infinie de groseilliers offrait à notre avidité une suite de récoltes jusqu’à l’automne. Nous ne trouvions pas moins intéressant un vieux et grand mûrier au vaste branchage, soit à cause de ses fruits, soit parce qu’on nous contait que les vers à soie se nourrissaient de ses feuilles. Dans ce lieu paisible, nous trouvions chaque soir notre grand-père prenant lui-même, avec une tranquille activité, les soins plus délicats qu’exigeaient ses arbres fruitiers et ses fleurs, tandis qu’un jardinier faisait les travaux plus grossiers. Il n’était jamais las des occupations multipliées qui sont nécessaires pour entretenir et pour augmenter une belle collection d’œillets. Il attachait lui-même soigneusement en éventail les rameaux des pêchers aux treillages, pour favoriser la riche et facile croissance des fruits ; il n’abandonnait à personne le triage des oignons de tulipes, de jacinthes et d’autres plantes pareilles, non plus que le soin de les conserver ; et je me rappelle encore avec plaisir son application à greffer les différentes espèces de rosés. Il mettait alors, pour se préserver des épines, ces vénérables gants de cuir qui lui étaient offerts à triple, chaque année, dans l’audience des musiciens, et qui, par conséquent, ne lui manquaient pas. Il portait toujours une longue robe de chambre et se coiffait d’un bonnet de velours noir plissé, en sorte qu’il aurait pu représenter un personnage mitoyen entre Alcinoùs et Laërte. Il exécutait tous ces travaux de jardinage avec la même régularité et la même exactitude que les affaires de sa charge ; car il ne descendait jamais avant d’avoir mis en règle son ordre du jour pour le lendemain et d’avoir lu les actes. Le matin, il se rendait à l’hôtel de ville, il dînait à son retour, faisait la sieste dans son grand fauteuil, et tout se passait un jour comme l’antre. Il parlait peu, ne montrait pas trace de brusquerie ; je ne me souviens pas de l’avoir vu en colère. Tout ce qui l’entourait était ancien ; je n’ai jamais aperçu un changement quelconque dans sa chambre boisée. Sa bibliothèque ne contenait, outre les ouvrages de jurisprudence, que les premières relations de voyages, des récits de navigations et de découvertes. En