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mon habileté m’étaient d’autant plus nécessaires, que la société, qui m’était d’ailleurs tout à fait étrangère, eut bientôt soupçonné une intelligence entre l’aimable jeune fille et moi, et se donnait malicieusement toute la peine possible pour m’imposer ce que je tachais secrètement d’éviter. Car, dans ces assemblées, si l’on remarque une inclination naissante entre deux jeunes gens, on cherche à les embarrasser ou à les rapprocher davantage, tout comme, dans la suite, quand une passion s’est déclarée, on s’efforce de les éloigner l’un de l’autre, car il est tout à fait indifférent à l’homme du monde de servir ou de nuire, pourvu qu’il s’amuse.

Dans cette matinée, je pus observer avec quelque attention tout le caractère de Frédérique, en sorte que je la vis toujours la même. Déjà les salutations amicales des paysans, adressées à elle de préférence, donnaient à entendre qu’elle était bienfaisante pour eux et qu’ils étaient réjouis à sa vue. L’aînée aidait sa mère dans la maison ; ce qui exigeait des efforts corporels, on ne le demandait pas à Frédérique ; on l’épargnait, disait-on, à cause de sa poitrine. Il y a des femmes qui nous plaisent mieux dans la maison ; il y en a d’autres qui sont mieux en plein air. Frédérique était de celles-ci. Ses manières, sa tournure, ne paraissaient jamais plus ravissantes que lorsqu’elle cheminait sur un haut sentier : la grâce de son maintien semblait rivaliser avec la terre fleurie, l’inaltérable sérénité de son visage avec le ciel azuré. Ce délicieux éther qui l’entourait, elle le portait avec elle au logis, et l’on remarquait bientôt qu’elle savait lever les embarras et effacer aisément les impressions des petits incidents désagréables.

La joie la plus pure que l’on puisse éprouver au sujet d’une personne aimée est de voir qu’elle charme les autres. En société, la conduite de Frédérique était généralement bienfaisante. A la promenade, comme un esprit vivifiant, elle voltigeait ça et là, et savait combler les vides qui pouvaient se faire quelque part. J’ai déjà signalé la légèreté de ses mouvements ; elle était surtout ravissante quand elle courait. Comme le chevreuil semble accomplir sa destinée quand il vole sur les moissons naissantes, elle semblait aussi exprimer plus clairement sa façon d’être quand elle s’élançait, d’une course légère, à travers les prairies,