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que vous me faites peur ! — Le premier déguisement m’a poussé au second, m’écriai-je. Le premier eût été impardonnable, si j’avais su un peu chez qui j’allais. Le second, vous me le pardonnerez certainement, puisque c’est la figure de gens que vous accueillez si bien. » Ses joues un peu pâles s’étaient colorées du plus beau rosé. « Vous ne serez du moins pas plus maltraité que Georges. Mais allons nous asseoir, je vous avoue que la peur m’a saisie. » Je m’assis auprès d’elle, extrêmement ému. « Nous savons tout jusqu’à ce matin par votre ami, dit-elle : à présent racontez-moi la suite. » Je ne me le fis pas dire deux fois, et je lui peignis mon horreur de ma figure de la veille, ma fuite précipitée, d’une façon si comique, qu’elle en rit de bonne grâce et de tout son cœur. Je dis le reste d’un ton parfaitement réservé, et pourtant assez ému pour équivaloir à une déclaration d’amour sous forme historique.

Enfin je fêtai le plaisir de la retrouver par un baiser sur sa main, qu’elle laissa dans la mienne. Si elle avait fait, la veille, les frais de la conversation dans la promenade au clair de lune, je payai cette fois ma dette largement. Le plaisir de la revoir et de pouvoir lui dire tout ce que je cachais la veille était si grand, que, dans mon épanchement, je ne remarquai pas combien elle était elle-même pensive et silencieuse. Elle soupirait quelquefois profondément, et je lui demandai encore et encore pardon de la frayeur que je lui avais causée. Combien de temps nous restâmes assis, je ne saurais le dire, mais nous entendîmes tout à coup appeler : « Frédérique ! Frédérique ! » C’était la voix de sa sœur. « Cela fera une belle histoire, dit l’aimable jeune fille, revenue à toute sa gaieté. Elle vient de mon côté, ajouta-t-elle, en se penchant en avant pour me cacher à moitié. Détournez-vous, pour qu’on ne vous reconnaisse pas tout de suite. » La sœur entra dans la salle de verdure, mais non pas seule : Weyland était avec elle, et tous deux, à notre vue, restèrent comme pétrifiés.

Quand nous verrions une flamme s’élancer tout à coup d’un toit paisible, ou que nous rencontrerions un monstre dont la difformité serait à la fois effroyable et révoltante, nous ne serions pas saisis d’une horreur pareille à celle qui nous surprend, quand nous voyons de nos yeux inopinément une chose