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per sur la nature. Des Anglais spéculateurs vinrent donc sur le continent, et inoculèrent, en se faisant payer des honoraires considérables, les enfants des familles qu’ils trouvaient riches et au-dessus du préjugé. Mais le grand nombre était toujours exposé à l’ancien fléau ; la maladie sévissait dans les familles, tuait ou défigurait beaucoup d’enfants, et peu de parents se hasardaient à employer un moyen dont l’efficacité, probable était pourtant déjà confirmée par de nombreux succès. Le mal atteignit aussi notre maison, et me frappa avec une violence particulière. Tout mon corps fut parsemé de boutons, mon visage en fut couvert, et je restai plusieurs jours aveugle, dans de grandes souffrances. On cherchait tous les adoucissements possibles ; on me promit des montagnes d’or, si je voulais me tenir tranquille, et ne pas augmenter le mal en me frottant et me grattant. Je sus me contenir. Cependant, selon le préjugé régnant, on nous tenait aussi chaudement que possible, et l’on ne faisait par là qu’irriter le mal. Enfin, après un temps tristement écoulé, un masque me tomba du visage, sans que les pustules eussent laissé sur la peau aucune trace visible, mais les traits étaient sensiblement changés. Pour moi, il me suffisait de revoir la lumière et que les taches de ma peau disparussent peu à peu, mais autour de moi on était assez impitoyable pour me rappeler souvent mon premier état. Particulièrement une tante, fort vive, qui auparavant avait fait de moi son idole, ne pouvait encore, bien des années après, jeter les yeux sur moi sans s’écrier : « Fi ! mon neveu, que tu es devenu laid ! » Puis elle me contait en détail comme j’avais été ses délices, quel effet elle avait produit quand elle me promenait, et j’appris ainsi de bonne heure que les gens nous font très-souvent expier sensiblement le plaisir que nous leur avons procuré.

Je n’échappai ni à la rougeole, ni à la petite vérole volante, ni enfin à aucun de ces démons qui tourmentent l’enfance, et, chaque fois, on m’assurait que c’était un bonheur que ce mal fût maintenant passé pour toujours. Par malheur, un autre menaçait dans le lointain et s’approchait. Tous ces événements augmentèrent mon penchant à la méditation, et, comme je m’étais déjà exercé souvent à souffrir, pour éloigner de moi les maux de l’impatience, les vertus que j’avais ouï vanter chez les