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traient combien cette petite résidence avait dû être agréable autrefois.

Mais on ne songeait plus à ces détails quand on contemplait du Baschberg, situé tout auprès, cette contrée, véritable paradis terrestre. La colline, toute formée de coquillages divers, fixa pour la première fois mon attention sur ces documents du monde primitif. Je ne les avais pas encore observés en si grande masse. Mais le regard avide s’arrêtait bientôt uniquement sur le paysage. On se trouve sur le dernier contre-fort du côté de la campagne : au nord s’étend une fertile plaine, parsemée de petits bois et bornée par de sévères montagnes, qui se prolongent à l’ouest du côté de Saverne, où l’on peut distinguer le palais épiscopal et l’abbaye de Saint-Jean, à une lieue de là. De ce point, l’œil suit jusqu’au sud la chaîne des Vosges, qui s’efface de plus en plus. Si l’on se tourne vers le nord-ouest, on voit, sur un rocher, le château de Lichtenberg, et, vers le sud-ouest, l’œil parcourt l’immense plaine d’Alsace, qui se dérobe à la vue en vallons champêtres, toujours plus vaporeux, jusqu’aux montagnes de Souabe, perdues comme des ombres à l’horizon.

Dans le petit nombre de pèlerinages que j’avais faits jusqu’alors, j’avais remarqué combien il importe en voyage de s’informer du cours des eaux et de s’enquérir même où chemine le plus petit ruisseau. On acquiert ainsi une vue générale de chaque région fluviale dans laquelle on se trouve, une idée des hauts et des bas qui sont en rapport entre eux, et, à l’aide de ces fils conducteurs, qui viennent au secours de l’intuition comme de la mémoire, on se dégage plus sûrement du labyrinthe géologique et politique. Dans cette contemplation, je pris un congé solennel de ma chère Alsace, car notre projet était de nous diriger le lendemain vers la Lorraine.

La soirée se passa en conversations familières, où l’on cherchait à égayer la tristesse du temps présent par le souvenir d’un passé plus heureux. Ici, comme dans tout ce petit pays, était en bénédiction, par-dessus tous les autres, le nom du dernier comte Reinhard de Hanau, dont l’intelligence et le mérite signalés paraissaient dans toute sa conduite, et qui avait laissé plusieurs beaux monuments de son existence. De tels hommes