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regardait comme meilleurs que tous les autres, il était pleinement convaincu que c’était lui-même qui les avait faits, comme il me l’affirmait ingénument dans l’intimité où j’étais avec lui. Témoin de cette erreur et de cette démence, je me demandai un jour si je ne me trouvais pas moi-même dans ce cas, si ces poésies n’étaient pas réellement meilleures que les miennes, et si je ne pourrais pas justement sembler à mes camarades aussi fou qu’ils me semblaient. Cela m’inquiéta beaucoup et longtemps, car il m’était absolument impossible de trouver un signe extérieur de la vérité ; je suspendis même mes productions ; mais enfin je fus tranquillisé par l’humeur légère, par le sentiment de mes forces et par un travail d’essai que nos parents et nos maîtres, devenus attentifs à nos amusements, nous imposèrent sans préparation, et dans lequel mon heureux succès me valut tous les suffrages.

À cette époque, on n’avait pas encore composé de bibliothèques pour les enfants. Les grandes personnes avaient encore elles-mêmes des idées enfantines, et trouvaient commode de transmettre à la nouvelle génération leur propre culture. Si l’on excepte l’Orbis pictus d’Amos Comenius, aucun livre de ce genre n’arriva dans nos mains ; mais nous feuilletâmes bien souvent la Bible in-folio, avec les gravures de Mérian ; la Chronique de Godefroi avec des gravures du même maître, nous fit connaître les événements les plus remarquables de l’histoire universelle ; l’Acerra philologica y ajouta des fables, des mythes et des merveilles de toute sorte, et, comme j’appris bientôt à connaître les Métamorphoses d’Ovide, dont j’étudiai surtout diligemment les premiers livres, ma jeune tête fut promptement remplie d’une foule d’images et d’aventures, de figures et d’événements considérables et merveilleux, et jamais l’ennui ne pouvait m’atteindre, occupé que j’étais sans cesse à mettre ce fonds en œuvre, à le répéter, à le reproduire.

Un ouvrage qui fit sur moi une impression plus morale et plus salutaire que ces antiquités, parfois grossières et dangereuses, fut le Télémaque de Fénelon, que j’appris à connaître d’abord dans la traduction de Neukirch, et qui, même dans une forme si imparfaite, produisit sur mon cœur une impression très-douce et très-bienfaisante. Que Robinson Crusoé soit venu