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non l’héritage particulier de quelques hommes d’une culture élégante. Je dévorais tout cela, et plus je recueillais avidement, plus il donnait avec libéralité, si bien que nous passions ensemble les heures les plus intéressantes. Je m’efforçais de continuer mes études sur les sciences naturelles ; et, comme on a toujours assez de temps quand on veut bien l’employer, je réussissais parfois à faire le double et le triple. Enfin, ce petit nombre de semaines que nous vécûmes ensemble turent si bien remplies, que (je puis le dire) tout ce que Herder a plus tard exécuté successivement me fut indiqué en germe, et j’eus le bonheur de me voir ainsi en état de compléter tout ce que j’avais appris, médité, ce que je m’étais approprié jusqu’alors ; de le rattacher à un point de vue plus élevé et de le développer. Si Herder avait été plus méthodique, j’aurais aussi trouvé chez lui les plus précieuses indications pour suivre dans mon développement une direction constante ; mais il était plus disposé à examiner et à stimuler qu’à diriger et à conduire. Ainsi, par exemple, il me fit connaître, le premier, les ouvrages de Hamann, dont il faisait le plus grand cas ; mais, au lieu de me les expliquer et de me faire comprendre l’enchaînement et la marche de cet esprit extraordinaire, il se faisait d’habitude un jeu de mes efforts, assez bizarres, il est vrai, pour arriver à l’intelligence de ces feuilles sibyllines. Cependant, je sentais bien dans les écrits de Hamann quelque chose qui me satisfaisait, à quoi je m’abandonnais, sans connaître ni le point de départ ni le but.

Après que la cure se fut prolongée plus que de raison, Lobstein parut hésiter dans son traitement et se répéter, en sorte que l’affaire ne prenait point de fin. Déjà Péglow m’avait dit en secret qu’on ne pouvait guère espérer une issue favorable ; toute notre société en fut troublée. Herder tomba dans l’impatience et le découragement. Il ne pouvait continuer ses travaux comme auparavant, et il devait d’autant plus se restreindre que l’on commençait à rejeter le mauvais succès de l’opération chirurgicale sur la trop grande application de Herder, et sur la vie animée et même joyeuse qu’il ne cessait pas de mener avec nous. Après tant de tourments et de souffrances, la gouttière lacrymale artificielle ne voulut pas se former, ni la com-