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et le corps. Sussmilch, avec son réalisme cru, mais un peu fantastique, s’était décidé pour l’origine divine, c’est-à-dire que Dieu avait joué auprès du premier homme le rôle de maître d’école. Le traité de Herder tendait à montrer comment l’homme, en qualité d’homme, pouvait et devait parvenir à un langage par ses propres forces. Je lus ce traité avec un grand plaisir et pour mon instruction particulière. Mais je n’étais assez avancé ni dans la science ni dans la méditation pour en porter un jugement solide. Je témoignai donc à l’auteur mon approbation, en n’y ajoutant qu’un petit nombre d’observations, qui dérivaient de mon sentiment, mais l’un fut reçu comme l’autre. On était grondé et blâmé, que l’on approuvât avec ou sans réserve. Le gros chirurgien eut moins de patience que moi : il refusa plaisamment la communication du manuscrit destiné au concours, et assura qu’il n’était nullement préparé à réfléchir sur des matières si abstraites. Il était plus pressé de jouera l’hombre, qui était, le soir, notre amusement ordinaire.

Un traitement si pénible et si douloureux ne fit point perdre à notre Herder sa vivacité, mais elle était toujours moins bienfaisante. Il ne pouvait écrire un billet pour demander quelque chose, sans l’assaisonner de quelque moquerie. Il m’écrivit, par exemple, un jour ce billet en vers : « Si tu as les lettres de Brutus dans les lettres de Cicéron, toi que consolent, mais plus par dehors que par dedans, les magnifiques consolateurs des écoles de planches bien rabotées ; toi qui descends des dieux (Goettern), des Goths ou de la boue (Koth), Gœthe, envoie-les-moi. » Assurément, il ne montrait pas de la délicatesse en se permettant de jouer ainsi sur mon nom ; car le nom propre d’un homme n’est pas simplement un manteau qui flotte autour de sa personne, et qu’on peut, à la rigueur, secouer et tirailler ; c’est un habit parfaitement juste, qui s’est développé sur l’homme tout entier, comme la peau, que l’on ne peut ni érafler ni écorcher sans le blesser lui-même.

Le premier reproche était plus fondé. J’avais en effet apporté à Strasbourg les auteurs que j’avais échangés avec Langer, et, en outre, plusieurs belles éditions de la collection de mon père, et je les avais rangés sur de jolies tablettes, avec la meilleure intention d’en profiter ; mais mon temps pouvait-il y suffire,