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nommé Péglow, était le plus souvent auprès de lui. Il avait fait antérieurement la connaissance de Herder à Riga, et, quoiqu’il ne fût plus un jeune homme, il cherchait à se perfectionner dans la chirurgie sous la direction de Lobstein. Herder pouvait être délicieusement aimable et spirituel, mais, tout aussi aisément, se montrer sous un jour désagréable. Cet attrait et cette répulsion se retrouvent, il est vrai, naturellement dans tous les hommes, plus chez les uns, moins chez les autres, avec des alternatives plus lentes ou plus rapides ; bien peu sont capables de surmonter sur ce point leur caractère ; un grand nombre ne le peut qu’en apparence. Quant à Herder, si son humeur contredisante, amère, caustique, prenait le dessus, il fallait certainement l’attribuer à son mal et aux souffrances qui l’accompagnaient. Ce cas se présente souvent dans la vie, et l’on ne considère pas assez l’effet moral d’un état maladif : on juge dès là bien des caractères très-injustement, parce qu’on suppose tous les hommes bien portants, et qu’on exige d’eux qu’ils se conduisent en conséquence.

Pendant toute la durée de ce traitement, je visitai Herder soir et matin ; je restais même des jours entiers, auprès de lui, et je m’accoutumai bientôt à ses gronderies et à ses critiques, d’autant que j’apprenais à estimer chaque jour davantage ses belles et grandes qualités, ses vastes connaissances, ses vues profondes. L’influence de ce bourru débonnaire fut grande et marquée. Il avait cinq ans de plus que moi, ce qui fait, dans la jeunesse, une assez grande différence ; et, comme je le reconnaissais pour ce qu’il était, comme je tâchais d’apprécier ce qu’il avait déjà produit, cela devait lui donner sur moi une grande supériorité. Mais ma situation n’était pas agréable ; car les personnes plus âgées que j’avais fréquentées jusqu’alors avaient cherché à me former avec ménagement, peut-être aussi m’avaient-elles gâté par leur condescendance ; quant à lui, on ne pouvait jamais espérer son approbation, de quelque manière que l’on voulût s’y prendre. Et comme, d’un côté, ma grande inclination, mon respect pour lui, et, de l’autre, le malaise qu’il me causait, se combattaient sans cesse, il en résulta chez moi une discordance, la première de ce genre que j’eusse jamais ressentie. Sa conversation étant toujours d’une grande