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accompagné dans ses voyages le prince de Holstein-Eutin, qui se trouvait dans une fâcheuse disposition morale, et il était arrivé avec lui à Strasbourg. Aussitôt que notre société en fut informée, elle désira vivement entrer avec lui en relations, et j’eus ce bonheur le premier, d’une manière tout accidentelle et inattendue. J’étais allé, en effet, à l’auberge du Saint-Esprit rendre visite à je ne sais quel étranger marquant. Au bas de l’escalier, je trouvai un homme qui était aussi sur le point de monter, et que je pouvais prendre pour un ecclésiastique. Ses cheveux poudrés étaient relevés en rouleau ; on remarquait son habit noir et plus encore un long manteau de soie noire, dont il avait rassemblé et logé dans sa poche les extrémités. Cette mise un peu étrange, mais, à tout prendre, agréable et bienséante, dont j’avais déjà entendu parler, ne me laissa pas douter que ce ne fût là le célèbre étranger, et les paroles que je lui adressai durent le convaincre aussitôt que je le connaissais. Il me demanda mon nom, qui ne pouvait être pour lui d’aucune signification, mais ma franchise parut lui plaire, car il y répondit très-gracieusement, et, dès que nous fûmes au haut de l’escalier, il se montra d’humeur très-communicative. J’ai oublié à qui nous allions faire visite ; bref, en prenant congé de Herder, je lui demandai la permission d’aller le voir, et il me l’accorda avec assez d’empressement.

Je ne tardai point à profiter plusieurs fois de cette faveur, et il m’attira toujours davantage. Il avait dans ses manières une certaine douceur, pleine de bienséance et de distinction, sans être proprement adroit ; il avait le visage rond, le front prononcé, le nez un peu retroussé, la bouche un peu saillante, mais d’un agrément tout particulier, et d’une expression très-aimable. Sous des sourcils noirs, deux yeux noirs comme le charbon, qui ne manquaient pas leur effet, quoique l’un d’eux fût d’ordinaire rouge et enflammé. Il me fit diverses questions, pour apprendre à connaître ma personne et ma position, et je me sentais pour lui toujours plus d’attrait. J’étais, en général, d’un naturel très-confiant, et, pour lui surtout, je n’eus jamais aucun secret. Cependant la force répulsive de sa nature ne tarda pas à se faire sentir et me causa un malaise assez grand. Je lui contai quelques-unes de mes occupations et de mes fan-