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foule, les tambours, dont les coups et les roulements faisaient un vacarme à fendre la tête. Je montais tout seul au plus haut sommet de la cathédrale, et je m’asseyais dans ce qu’on nomme le cou, sous la boule ou la couronne ; j’y restais bien un quart d’heure, puis je me hasardais à passer sur la plate-forme, qui peut avoir à peine une aune carrée, où, se tenant debout, presque sans appui, on a devant soi la contrée sans bornes, tandis que les objets et les ornements les plus rapprochés cachent l’église et le reste, sur quoi l’on est et l’on plane. C’est absolument comme si l’on se voyait enlevé dans une mongolfière. Je répétai cet acte pénible et douloureux jusqu’à ce que l’impression me fût devenue tout à fait indifférente ; et, plus tard, dans mes courses de montagnes et mes études géologiques ; dans les grandes constructions, où je courais comme les charpentiers sur les poutres isolées et sur les corniches du bâtiment ; à Rome, où il faut de ces hardiesses pour voir de plus près des œuvres d’art considérables, j’ai tiré de ces exercices un grand avantage.

L’anatomie me fut aussi doublement utile, en m’apprenant à supporter la vue des objets les plus repoussants et en satisfaisant ma passion de savoir. Je suivis la clinique du vieux docteur Ehrmann, ainsi que les leçons d’accouchement de son fils, dans le double but de connaître les choses et de surmonter toute appréhension des objets repoussants. Je suis en effet arrivé au point que rien de pareil n’a jamais pu me déconcerter. Au reste ce n’est pas seulement contre les impressions sensibles, mais aussi contre les assauts de l’imagination que je cherchai à me fortifier. Les impressions effroyables et mystérieuses des ténèbres, des cimetières, des solitudes, des églises et des chapelles pendant la nuit, et tous les objets de ce genre, je sus également me les rendre indifférents, et j’en vins à ce point que le jour et la nuit, en tous lieux, furent pour moi exactement pareils, tellement que, plus tard, ayant eu la fantaisie de sentir encore une fois dans ces entourages l’agréable frisson de la jeunesse, j’eus beaucoup de peine à l’exciter en moi quelque peu, en évoquant les plus étranges et les plus terribles images.

Si je mettais tous mes soins à me délivrer du joug et du fardeau d’impressions par trop sévères et puissantes, qui me dominaient toujours, et qui m’apparaissaient tantôt comme une