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paraître, et, par cette conduite, la sincérité d’un cœur jeune et vif, qui peut-être s’épanouissait librement pour la première fois, me gagna beaucoup d’amis. Notre table s’augmenta bien jusqu’à vingt personnes, et, comme notre Salzmann persistait dans sa méthode accoutumée, tout suivit le même train ; la conversation était même plus convenable, chacun devant s’observer en présence d’un plus grand nombre de personnes. Parmi les nouveaux venus se trouvait un homme qui m’intéressa particulièrement. Il s’appelait Joung, et c’est lui qui s’est fait connaître plus tard sous le nom de Stilling. Sa personne, malgré une mise surannée, avait, sous une écorce un peu rude, quelque chose de délicat. Une perruque, avec la bourse à cheveux, ne gâtait point sa figure expressive et agréable. Sa voix était douce, sans être mielleuse ni faible ; elle devenait même forte et sonore, aussitôt qu’il s’animait, ce qui arrivait aisément. Quand on le connaissait plus à fond, on trouvait en lui une saine raison basée sur le sentiment, et qui, par conséquent, se laissait déterminer par les penchants et les passions. De cette même source jaillissait un enthousiasme d’une pureté parfaite pour le bien, le juste et le vrai. Car la vie de cet homme avait été fort simple, et pourtant remplie d’événements et d’une activité variée. Le principe de son énergie était une inébranlable croyance en Dieu, et en son assistance immédiate, qui se confirmait visiblement par une prévoyance non interrompue et une infaillible délivrance de toute détresse et de tout mal. Joung avait fait mille expériences pareilles dans le cours de sa vie ; elles s’étaient souvent répétées, même, dans les derniers temps, à Strasbourg ; en sorte qu’il menait, avec la plus grande sérénité, une vie modeste, il est vrai, mais insoucieuse, et se livrait à ses études avec la plus sérieuse application, sans pouvoir compter, d’un trimestre à l’autre, sur aucune ressource assurée. Dans sa jeunesse, sur le point de devenir charbonnier, il prit le métier de tailleur, et, après avoir acquis par lui-même, dans ses loisirs, quelques connaissances plus relevées, son goût pour l’enseignement le poussa à se faire maître d’école. Cette tentative fut malheureuse, et il revint à son métier, mais on l’en retira à diverses reprises pour remplir l’office de précepteur, parce qu’il gagnait aisément l’affection et la