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l’occasion de passer avec mon ami la plupart de mes soirées dans les meilleures compagnies, où j’étais généralement bien accueilli, et où l’on me pardonnait quelques petites irrégularités, sur lesquelles mon ami fixait pourtant mon attention, mais avec assez d’indulgence.

Cependant il me fallut apprendre par un signe visible, à quel point nous devons nous prêter, même pour l’extérieur, aux exigences de la société et nous régler sur elle, et, pour cela, je fus obligé de souffrir une chose qui me parut la plus désagréable du monde. J’avais de très-beaux cheveux ; mais mon perruquier de Strasbourg m’assura néanmoins qu’ils étaient coupés beaucoup trop en arrière, et qu’il lui était impossible d’en faire une coiffure avec laquelle j’osasse me produire, parce que la règle était de ne porter sur le devant que peu de cheveux courts et crêpés, et d’attacher tout le reste, dès le sommet de la tête, dans la queue ou la bourse à cheveux. Il n’y avait d’autre remède que de me résoudre à porter un tour de faux cheveux, jusqu’à ce que la croissance naturelle se fût accomplie selon les exigences du temps. Il me promit que si je pouvais m’y résoudre sur-le-champ, personne ne remarquerait cette innocente tromperie, à laquelle je me refusai d’abord très-sérieusement. Il tint parole et je passai toujours pour la jeune tête la plus chevelue et la mieux frisée. Mais, comme je devais rester dès le matin ainsi attifé et poudré, et prendre garde en même temps de déceler ma fausse parure en m’échauffant ou par quelque mouvement brusque, cette gêne contribua beaucoup à me faire observer pendant quelque temps une tenue plus tranquille et plus réservée ; à me faire prendre l’habitude de sortir le chapeau sous le bras, et, par conséquent, en souliers et culottes ; mais je ne dus pas tarder à porter des bas de dessous en cuir léger, pour me garantir des cousins du Rhin, qui, par les belles soirées d’été, se répandaient dans les prairies et les jardins. Si, dans ces circonstances, tout exercice violent m’était défendu, nos conversations devinrent toujours plus vives et plus animées ; elles furent même les plus intéressantes que j’eusse jamais eues jusqu’alors.

Avec ma manière de sentir et de penser, il ne m’en coûtait rien de laisser chacun ce qu’il était et même ce qu’il voulait