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dont nous ne pouvions, soit de près soit de loin, rassasier nos regards.

La reine poursuivit son voyage ; le peuple des campagnes s’écoula, et la ville fut bientôt rendue à sa première tranquillité. Avant l’arrivée de la reine, on avait défendu par une ordonnance, toute raisonnable, aux personnes défigurées, estropiées et d’un aspect dégoûtant, de se montrer sur son passage. On en plaisanta, et je composai une petite pièce de vers français, où je mettais en parallèle la venue du Christ, qui sembla surtout parcourir le monde en faveur des malades et des paralytiques, avec la venue de la reine, qui mettait en fuite ces malheureux. Mas amis les jugèrent passables ; mais un Français, qui vivait avec nous, critiqua impitoyablement la langue et la mesure, et, à ce qu’il paraît, ses critiques n’étaient que trop fondées. Je ne me souviens pas d’avoir fait depuis d’autres vers français.

A peine la nouvelle de l’heureuse arrivée de la reine eut-elle retenti jusqu’à nous de la capitale, qu’on annonça un affreux malheur. Au feu d’artifice de la fête, par une inadvertance de la police, une foule de gens à cheval et en voiture avaient péri dans une rue encombrée de matériaux, et, parmi ces fêtes nuptiales, la ville avait été plongée dans la douleur et le deuil. On s’efforça de cacher l’étendue de ce malheur au jeune couple royal aussi bien qu’au public, en enterrant les morts secrètement, de sorte que bien des familles ne furent convaincues que par la complète disparition des leurs, qu’ils avaient aussi été victimes de cet affreux événement. Qu’à cette occasion, les horribles tableaux de la grande salle me soient revenus vivement à la pensée, j’ai à peine besoin de le dire, car chacun sait combien sont puissantes certaines impressions morales, lorsqu’elles s’incorporent en quelque sorte aux impressions sensibles.

Cet événement devait d’ailleurs causer à mes amis une vive inquiétude, à la suite d’une plaisanterie que je me permis. Les jeunes camarades de Leipzig avaient conservé une certaine démangeaison de s’attraper et se mystifier les uns les autres. Avec cette malicieuse étourderie, j’écrivis à Francfort à un de mes amis (le même qui, ayant amplifié et appliqué au Médon