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Strasbourg en se rendant à Paris. Les solennités par lesquelles on avertit le peuple qu’il y a des grands dans le monde furent préparées avec soin et avec profusion, et je remarquai surtout le bâtiment qui fut élevé dans une île du Rhin, entre les deux ponts, pour la réception de la reine et sa remise dans les mains des envoyés de son époux. L’édifice n’était que peu élevé au-dessus du sol ; il présentait dans le milieu une grande salle, de plus petites sur les côtés, puis venaient d’autres chambres, qui s’étendaient encore un peu en arrière. Construit d’une manière plus durable, il aurait fort bien pu servir de maison de plaisance pour des personnages de haut rang. Mais ce que j’y trouvai surtout d’intéressant, et ce qui m’engagea à ne pas épargner les busel (petite monnaie d’argent qui avait cours dans ce temps-là), afin d’obtenir du concierge de fréquentes entrées, c’étaient les tapisseries dont on avait tendu tout l’intérieur. C’est là que je vis pour la première fois une de ces tapisseries tissues d’après les cartons de Raphaël, et cet objet produisit sur moi un effet décisif, parce que j’apprenais à connaître en masse, quoique dans une simple imitation, le beau et le parfait. J’allais et venais sans cesse, et ne pouvais me rassasier de voir ; même je me consumais en efforts inutiles, parce que j’aurais voulu comprendre ce qui me causait un plaisir si extraordinaire. Je trouvai extrêmement agréables et gracieuses les salles latérales, mais horrible le salon principal. On l’avait tendu en tapisseries de haute lisse, beaucoup plus grandes, plus brillantes, plus riches, encadrées d’ornements accumulés, et fabriquées d’après des tableaux de peintres français modernes. Je me serais fait aussi à cette manière, car mon jugement et mon goût n’étaient point portés à rien exclure absolument : mais le sujet me révolta. Ces tableaux représentaient l’histoire de Jason, de Médée et de Creüse, et, par conséquent, l’exemple du mariage le plus infortuné. A la gauche du trône, on voyait la fiancée luttant avec la mort la plus cruelle, entourée d’amis éplorés ; à la droite, le père était saisi d’horreur, à la vue de ses enfants égorgés à ses pieds, tandis que la furie traversait les airs sur le char attelé de dragons. Et pour joindre l’absurde à l’horrible et à l’abominable, adroite, derrière le velours rouge du trône brodé en or, on voyait se recoquiller