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divers, furent livrés aux flammes ; je n’épargnai guère, avec le manuscrit de Behrisch, que le Caprice de l’Amant et les Complices. Je continuai de retoucher ce dernier ouvrage avec une affection particulière ; et, comme la pièce était achevée, je retravaillais l’exposition, pour la rendre à la fois plus claire et plus animée. Lessing nous avait offert, dans les deux premiers actes de Minna, un modèle inimitable d’exposition, et je m’efforçais d’entrer dans ses vues et sa pensée.

Voilà bien assez de détails sur les choses qui m’intéressaient et m’occupaient dans ce temps-là. Cependant il faut que je revienne sur l’intérêt que m’avaient inspiré les choses supersensibles, dont j’entrepris tout de bon de me faire une idée, autant que cela me serait possible. Un ouvrage important, qui me tomba dans les mains, exerça sur moi à cet égard une grande influence : ce fut l’Histoire de l’Église et des hérésies, par Arnold. Cet homme n’est pas seulement un historien réfléchi : on trouve aussi chez lui la piété et le sentiment. Ses idées s’accordaient fort bien avec les miennes, et ce qui me charma surtout dans son ouvrage, c’est qu’il me donna une idée plus avantageuse de plusieurs hérétiques qu’on m’avait représentés jusqu’alors comme des fous ou des impies. Chaque homme porte en soi l’esprit de contradiction et le goût du paradoxe. J’étudiais avec soin les diverses opinions, et comme j’avais entendu répéter souvent qu’au bout du compte chacun a sa religion, il me sembla, tout naturellement, que je pouvais aussi me former la mienne, et je me mis à l’œuvre avec beaucoup de joie. Le néoplatonisme en était la base ; les doctrines hermétique, mystique, cabalistique, fournissaient leur appoint ; et, comme cela, je me bâtis un monde assez étrange.

J’aimais à me représenter une divinité qui se produit elle-même de toute éternité ; mais, comme la production ne se peut concevoir sans diversité, elle devait nécessairement se manifester aussitôt comme une seconde essence, que nous reconnaissons sous le nom du fils. Ces deux êtres devaient continuer l’acte de la production, et ils se manifestaient eux-mêmes de nouveau dans le troisième, qui était aussi subsistant, vivant et éternel que le tout. Avec lui cependant était accompli le cercle de la divinité, et il ne leur eût pas été possible à eux-mêmes de