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santé du corps ni celle de l’âme. Elle voyait avec joie ce que m’avait donné la nature et bien des choses que j’avais acquises. Et quand elle me reconnaissait de nombreuses qualités, il n’y avait là rien d’humiliant pour elle, car d’abord elle ne prétendait point rivaliser avec un homme, et puis elle se croyait bien au-dessus de moi sous le rapport du développement religieux. Mon inquiétude, mon impatience, mes efforts, mes recherches, mes méditations, mes réflexions, mes incertitudes, elle expliquait tout à sa manière, sans me dissimuler, et en m’assurant au contraire avec franchise, que tout venait de ce que je n’étais pas réconcilié avec Dieu. Or j’avais cru dès mon enfance être fort bien avec mon Dieu ; bien plus, je me figurais, après diverses expériences, qu’il était même en reste avec moi, et j’étais assez hardi pour croire que j’avais quelque chose à lui pardonner. Cette idée vaine se fondait sur ma bonne volonté, qui était sans bornes, et à laquelle il aurait dû, me semblait-il, venir mieux en aide. On peut juger que nous eûmes là-dessus, mon amie et moi, de fréquents débats ; mais ils se terminaient toujours de la manière la plus amicale, et quelquefois, comme le vieux recteur Albrecht, elle finissait par dire que j’étais un jeune fou, à qui il fallait passer quelque chose.

J’étais fort tourmenté de mon abcès, le médecin et le chirurgien ayant voulu d’abord le mûrir, puis le résoudre, disaient-ils, et enfin ayant trouvé bon de l’extirper : toutefois j’en fus, assez longtemps, plus incommodé que souffrant ; mais, vers la fin de la cure, comme il fallait sans cesse revenir à toucher l’abcès avec la pierre infernale et d’autres mordants, cela m’offrait pour chaque jour de fâcheuses perspectives. Le médecin et le chirurgien appartenaient aussi aux piétistes séparés, quoiqu’ils fussent l’un et l’autre de naturel très-différent. Le chirurgien, d’une taille élancée et bien prise, avait la main habile et légère. Par malheur, il était un peu phthisique, et supportait son état avec une patience vraiment chrétienne, sans se laisser distraire de ses devoirs par sa souffrance. Le médecin était un homme inexplicable, au regard malin, à la parole caressante, du reste plein de mystère, et qui s’était acquis dans le monde dévot une confiance toute particulière. Actif et vigilant, il savait consoler ses malades ; mais, ce qui avait surtout étendu sa