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savoir quelle part la raison et quelle part le sentiment pouvait et devait avoir à ces convictions. Les hommes les plus vifs et les plus spirituels se montraient ici comme des papillons, qui, oubliant tout à fait leur état de chenilles, rejettent l’enveloppe de la chrysalide, dans laquelle ils sont parvenus à leur perfection organique. Les autres, plus fidèles et plus modestes, pouvaient être comparés à des fleurs, qui, même lorsqu’elles arrivent à leur plus bel épanouissement, ne se séparent ni des racines ni de la tige maternelle, et n’amènent au contraire le fruit désiré à sa maturité que par cette union de famille. Langer était de cette dernière catégorie ; en effet, tout savant qu’il était, et surtout bibliographe, il donnait à la Bible une préférence marquée sur les autres livres, et la regardait comme le document unique d’où nous pouvons déduire notre généalogie morale et spirituelle. Il était de ceux qui ne peuvent concevoir un rapport immédiat avec le grand Dieu de l’univers ; une médiation lui était donc nécessaire, et il croyait en trouver l’analogue partout dans les choses de la terre et du ciel. Son exposition agréable et conséquente se faisait écouler aisément d’un jeune homme qui, séparé des objets terrestres par une pénible maladie, se trouvait fort heureux de tourner vers les choses célestes la vivacité de son esprit. Fort sur la Bible comme je l’étais, il ne tenait plus qu’à la foi de déclarer désormais divin ce que j’avais jusqu’alors estimé humainement, et cela m’était d’autant plus facile que j’avais d’abord appris à connaître ce livre comme livre divin. L’Évangile était donc bienvenu pour un être souffrant, disposé à l’attendrissement et même à la faiblesse, et. quoique Langer, tout croyant qu’il était, fût en même temps un homme très-raisonnable, et qu’il soutînt fermement qu’on ne devait pas permettre au sentiment de prédominer ni se laisser entraîner dans l’exaltation, je n’aurais guère su m’occuper du Nouveau Testament sans émotion et sans enthousiasme.

Nous passâmes bien du temps dans ces entretiens, et Langer me prit tellement en amitié, comme un prosélyte fidèle et bien préparé, qu’il ne balança pas à me sacrifier plus d’une heure destinée à son amante, et qu’il courut même le risque d’être dénoncé comme Behrisch et mal vu de son patron. Je répondais à son affection avec une vive reconnaissance. Ce qu’il fai-