Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/297

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quelque danger, car il avait succédé à Behrisch comme gouverneur du jeune comte de Lindenau, et le père avait imposé au nouveau mentor la condition formelle de n’avoir avec moi aucune relation. Curieux de connaître un personnage si dangereux, il sut me rencontrer plusieurs fois en lieu tiers. Je gagnai son amitié, et, plus prudent que Behrisch, il venait me chercher de nuit ; nous allions nous promener ensemble ; nous nous entretenions de sujets intéressants, et je finissais par l’accompagner jusqu’à la porte de sa bien-aimée, car cet homme sérieux, savant, à l’extérieur sévère, n’avait pas su échapper aux filets d’une très-aimable dame.

La littérature allemande et, avec elle, mes propres essais poétiques m’étaient devenus étrangers depuis quelque temps, et, comme il arrive d’ordinaire dans un pareil cycle d’études spontanées, je revins à mes chers anciens, qui, pareils à de lointaines montagnes bleues, distinctes dans leurs masses et leurs contours, mais confuses dans leurs parties et leurs rapports intérieurs, bornaient l’horizon de mes vœux intellectuels. Je lis avec Langer un échange, où je jouais en même temps les rôles de Glaucus et de Diomède : je lui abandonnai des corbeilles pleines de poètes et de critiques allemands, et je reçus en retour un certain nombre d’auteurs grecs, dont la lecture devait me délasser pendant ma lente convalescence.

La confiance que de nouveaux amis se vouent l’un à l’autre a coutume de se développer par degrés. Des occupations et des inclinations communes sont le premier symptôme d’une entente mutuelle ; puis viennent les confidences relatives aux passions présentes et passées, particulièrement aux aventures d’amour ; quelque chose de plus profond encore, qui se manifeste quand la liaison doit s’accomplir, ce sont les sentiments religieux, les affaires de cœur qui ont rapport à l’impérissable, et qui affermissent la base de l’amitié, comme elles en décorent le sommet.

La religion chrétienne flottait entre sa donnée historique positive et un pur déisme, qui, fondé sur la moralité, devait à son tour fonder la morale. La diversité des caractères et des sentiments se montrait ici par gradations infinies, d’autant plus qu’une différence capitale concourait à l’effet ; car il s’agissait de