Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/293

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lorsqu’il avait à en faire mention, c’était toujours en termes magnifiques. L’établissement d’un parc, alors unique en son genre, son goût pour l’architecture, qu’Ennannsdorf entretenait par son activité, tout parlait en faveur d’un prince qui donnait aux autres un brillant exemple, et promettait un âge d’or à ses serviteurs et à ses sujets. Tout à coup les jeunes élèves apprennent avec allégresse que Winckelmann va revenir d’Italie, visiter le prince son ami, s’arrêter chez (User en passant et, par conséquent, paraître dans notre société. Nous n’avions point la prétention de l’entretenir, mais nous espérions le voir, et, comme les jeunes gens saisissent volontiers toute occasion pour en faire une partie de plaisir, nous étions déjà convenus de faire à Dessau une course à cheval et en voiture, avec le projet de nous mettre aux aguets ça et là ! dans une belle contrée, que l’art avait ennoblie, dans un pays à la fois bien administré et gracieusement décoré, pour voir ces hommes, qui nous étaient si supérieurs, se promener devant nos yeux. Œser lui-même était dans une véritable exaltation, à la seule pensée de revoir son ami, et, comme un coup de foudre dans un ciel serein, éclata au milieu de nous la nouvelle de la mort de Winckelmann. Je vois encore la place où je l’appris. C’était dans la cour du Pleissenbourg, non loin de la petite porte par laquelle on montait.chez Œser. Un de mes condisciples vint au-devant de moi, et me dit qu’on ne pouvait voir le maître, et pourquoi. Cet affreux événement produisit un effet immense. Ce furent des plaintes et des gémissements universels. La mort prématurée de Winckelmann fit sentir plus vivement la valeur de sa vie. Peut-être, si son activité se fût déployée jusque dans un âge avancé, son influence n’aurait pas été aussi grande qu’elle devait l’être maintenant, qu’à l’exemple de tant d’hommes extraordinaires, il recevait de la destinée la consécration d’une étrange et lamentable mort.

Tandis que je déplorais la perte de Winckelmann, je ne songeais pas que j’aurais bientôt à craindre pour ma propre vie. Car, sur ces entrefaites, ma santé s’était altérée. J’avais apporté de la maison une disposition hypocondre, qui n’avait fait que se fortifier par mon genre de vie sédentaire. Les douleurs que je sentais de temps en temps à la poitrine depuis l’accident