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Zacharie était un homme de grande et belle taille, de joyeuse humeur, et qui ne cachait pas son goût pour les plaisirs de la table. Lessing nous vint aussi, et je ne sais ce que nous avions alors dans la cervelle, il nous plut de ne lui montrer aucune déférence, d’éviter même les lieux où il paraissait : probablement nous crûmes devoir nous tenir à distance, ne pouvant nullement prétendre à former avec lui une liaison particulière. Cette niaiserie passagère, qui n’est pas chose rare chez une jeunesse vaine et fantasque, je la payai cher dans la suite ; car je ne revis jamais de mes yeux cet homme excellent, pour lequel j’avais la plus haute estime.

Mais, dans toutes nos études sur l’art et l’antiquité, chacun de nous avait sans cesse devant les yeux Winckelmann, dont le mérite était reconnu avec enthousiasme dans sa patrie. Nous lisions assidûment ses ouvrages, cherchant à connaître les circonstances dans lesquelles il avait écrit les premiers. Nous y trouvions bien des vues qui semblaient empruntées à Œser, et même des plaisanteries et des boutades qui rappelaient les siennes ; nous n’eûmes pas de repos avant de nous être fait une idée approximative de l’occasion dans laquelle avaient pris naissance ces écrits si remarquables et pourtant quelquefois si énigmatiques : et cependant nous n’en faisions pas une étude bien approfondie, car la jeunesse cherche beaucoup plus l’émotion que la science, et ce n’est pas la dernière fois que je fus redevable d’un progrès marqué à des feuilles sibyllines.

C’était un beau temps que celui-là pour la littérature. Les hommes éminents jouissaient encore de l’estime publique. Cependant les querelles de Klotz et les controverses de Lessing annonçaient déjà que cette époque allait bientôt finir. Winckelmann était l’objet d’un respect général, inviolable, et l’on sait comme il était sensible à tout jugement public qui semblait n’être pas en rapport avec sa dignité bien sentie. Toutes les gazettes s’accordaient à célébrer sa gloire ; les voyageurs d’élite le quittaient éclairés et ravis, et les vues nouvelles qu’il émettait se répandaient dans la science et dans la vie. Le prince de Dessau ne s’était pas acquis moins d’estime. Jeune, animé debonnes et nobles pensées, il s’était distingué par ses voyages et toute sa conduite. Winckelmann était enchanté de lui, et,