Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/289

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

trouvai dans un grand étonnement mes amis, que je n’avais pas accoutumés à de pareilles escapades ; ils avaient fait mille conjectures sur le sens de ce mystérieux voyage. Quand je leur eus fait mon histoire, avec une entière exactitude, ils déclarèrent que c’était un conte, et cherchèrent subtilement à découvrir le mot de l’énigme, que l’espiègle cachait sous le gîte du cordonnier. Cependant, s’ils avaient pu lire dans mon cœur, ils n’y auraient découvert aucune espièglerie. La vérité de cette vieille maxime : « Plus on sait, plus on s’agite, » se réalisait chez moi dans toute sa force ; et plus je m’efforçais de mettre en ordre et de m’approprier ce que j’avais vu, moins je pouvais y parvenir. Je dus enfin laisser l’effet se produire doucement. Je rentrai dans le courant de la vie ordinaire, et je finis par me trouver tout à fait à mon aise, quand mes relations d’amitié, mes progrès dans des connaissances qui étaient à ma mesure et une certaine activité de la main m’occupèrent d’une manière moins relevée, mais plus proportionnée à mes forces.

Une liaison très-agréable et très-salutaire pour moi fut celle que je formai avec la famille Breitkopf. Bernard-Christophe Breitkopf, le véritable fondateur de la maison, qui était arrivé à Leipzig, pauvre ouvrier imprimeur, vivait encore, et habitait l’Ours d’or, édifice remarquable du Marché-Neuf, où Gottsched avait un logement. Le fils, Jean-Dieudonné-Emmanuel, était aussi marié depuis longtemps et père de plusieurs enfants. Ils crurent ne pouvoir mieux employer une partie de leur belle fortune qu’à bâtir, vis-à-vis de leur premier domicile, une grande maison à l’enseigne de l’Ours d’argent, qui fut construite plus haute et plus vaste encore que la maison patrimoniale. Je fis justement connaissance de la famille à l’époque de la bâtisse. Le fils aîné pouvait avoir quelques années de plus que moi ; c’était un beau jeune homme, adonné à la musique, et qui jouait fort bien du piano et du violon. Le second, un excellent cœur, était aussi musicien, et, non moins que l’aîné, il animait les concerts qu’on organisait souvent. Ils avaient tous deux, ainsi que les parents et les sœurs, beaucoup d’affection pour moi. Je m’occupai avec eux de la construction, de l’achèvement, de l’ameublement et de l’installation, et, par là, j’appris beau-