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serait que pour changer l’eau en vin, aujourd’hui qu’il ne se fait plus de miracles, une recette si éprouvée ne viendrait pas mal à propos ! » La femme parut trouver toujours moins étrange ma façon de parler et d’agir ; nous fûmes bientôt à merveille tous ensemble, et nous passâmes une très-joyeuse soirée. Le mari était toujours le même, parce que tout découlait d’une seule source : sa richesse était un solide bon sens, qui reposait sur une humeur sereine, et il se plaisait dans l’uniforme activité dont il avait l’habitude. Travailler sans relâche était pour lui la première et la plus nécessaire des choses ; il regardait tout le reste comme accidentel. C’est ce qui maintenait sa bonne humeur, et je dus le mettre, avant beaucoup d’autres, dans les rangs des philosophes pratiques, des sages sans le savoir.

Enfin arriva l’heure, impatiemment attendue, où la galerie devait s’ouvrir. J’entrai dans ce sanctuaire, et mon étonnement surpassa tout ce que j’avais imaginé. Cette salle qui revient sur elle-même, dans laquelle régnaient, avec le silence le plus profond, la propreté et la magnificence ; les cadres éblouissants, tous nouvellement dorés, le parquet ciré, les salles, fréquentées par des spectateurs plus que par des travailleurs inspiraient un sentiment de solennité, unique en son genre, d’autant plus semblable à l’impression avec laquelle on entre dans un temple, que la décoration de cent églises, objet d’innombrables donations, ne semblait exposée de nouveau dans ce lieu que pour la sainte destination de l’art. Je prêtai volontiers l’oreille à la démonstration rapide de mon guide ; je demandai seulement de rester dans la galerie extérieure. Là, à ma grande satisfaction, je me trouvais en pays de connaissance. J’avais déjà vu les ouvrages de plusieurs artistes ; j’en connaissais d’autres parla gravure, d’autres de nom. Je ne le cachai point, et, par là, j’inspirai à mon guide quelque confiance ; il fut charmé du ravissement que je fis paraître devant les toiles où le pinceau avait triomphé de la nature : car les ouvrages qui m’attiraient le plus étaient ceux où la comparaison avec la nature connue relevait nécessairement le mérite de l’art.

Quand je rentrai chez mon cordonnier pour prendre le repas de midi, j’en crus à peine mes yeux. Il me semblait voir devant