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cienne critique doctorale et magistrale fut rejetée comme un vieux vêtement ; nous nous sentions délivrés de tout mal, et nous croyions pouvoir abaisser un regard de compassion sur ce seizième siècle, jusque-là si admirable, où l’on ne savait voir la vie dans les œuvres d’art et les poèmes allemands que sous la figure d’un fou coiffé de sonnettes, la mort, sous l’uniforme d’un squelette craquetant, et les maux nécessaires et accidentels du monde, sous l’image grotesque du diable. Nous étions surtout ravis de cette belle pensée, que les anciens avaient regardé la mort comme le frère du sommeil, et les avaient représentés comme deux Ménechmes, pareils, à s’y méprendre. Nous pouvions donc enfin célébrer le triomphe du beau ; et le laid, en tout genre, qu’on ne saurait après tout bannir du monde, nous pouvions le rejeter dans la sphère inférieure du domaine de l’art, dans le comique.

La beauté de ces idées fondamentales ne se révèle qu’à l’esprit sur lequel elles exercent leur action infinie ; elle ne se révèle qu’à l’époque où, vivement désirées, elles apparaissent dans le bon moment. Ceux pour lesquels a été servie une telle nourriture s’en occupent avec amour durant des époques entières de leur vie, et ils en reçoivent un immense développement, tandis qu’il ne manque pas de gens qui résistent sur-le-champ à cette influence et d’autres qui, dans la suite, rabaissent et critiquent la haute conception. Mais, comme l’idée et l’intuition se fécondent mutuellement, je ne pouvais longtemps méditer ces nouvelles pensées sans concevoir un désir extrême de voir une fois en grand nombre des œuvres d’art importantes. Je résolus donc de visiter Dresde sans retard. L’argent nécessaire ne me manquait pas, mais il y avait d’autres difficultés à vaincre, et je les augmentais encore sans nécessité par mon humeur fantasque. En effet, je cachai mon projet à tout le monde, parce que je désirais voir de la manière qui me convenait les chefs-d’œuvre de cette capitale, et ne voulais pas que personne pût m’induire en erreur.

Une autre bizarrerie venait compliquer encore une chose si simple. Nous tenons de la nature et de l’éducation certaines faiblesses, et l’on pourrait se demander lesquelles, des unes ou des autres, nous donnent le plus à faire. J’aimais, il est vrai, à