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nait lieu de faire malicieusement entrevoir toute sorte d’intentions railleuses.

Ce fut pendant mon séjour à Leipzig que l’on construisit le nouveau théâtre, et cet événement produisit une grande sensation. Le rideau, dans sa nouveauté, était d’un effet extraordinairement agréable. Œser avait fait descendre les Muses des nuages, où elles planent d’ordinaire dans ces compositions, et il les avait placées sur la terre. Un vestibule du temple de la Gloire était décoré des statues de Sophocle et d’Aristophane, autour desquels se groupaient les poètes dramatiques modernes. Les déesses des arts y figuraient aussi, et tout était noble et beau. Mais voici le caprice ! Le milieu de l’espace était libre et laissait voir le portail du temple au fond du tableau ; un homme, en jaquette légère, passait entre les deux groupes sans y prendre garde, et marchait droit au temple. On le voyait donc par derrière, et il n’était guère qu’ébauché. Ce personnage devait figurer Shakspeare, qui, sans devanciers ni successeurs, sans s’inquiéter des modèles, allait à l’immortalité en suivant sa propre voie. Œser exécuta cet ouvrage dans les combles du nouveau théâtre. Nous nous y rassemblâmes souvent autour de lui, et, pendant son travail, je lui lisais Musarion dans les bonnes feuilles.

Pour moi, je ne fis dans la pratique de l’art aucun progrès. Les leçons du maître agissaient sur notre esprit et notre goût ; mais son dessin était trop indéterminé pour m’amener à une exécution précise et décidée, moi qui ne faisais qu’entrevoir les objets de l’art et de la nature. Il nous communiquait les aspects plutôt que les formes des figures et des corps, les attitude » plutôt que les proportions. Il nous donnait l’idée des figures, et nous demandait de les animer nous-mêmes. Cela eût été fort bien, s’il n’avait pas eu affaire à des commençants. Si donc on pouvait lui refuser un talent remarquable pour l’enseignement, on devait, en revanche, reconnaître qu’il avait beaucoup de tact et d’adresse, et qu’une heureuse souplesse d’esprit faisait de lui, dans un sens élevé, un véritable maître. Il voyait très-bien les défauts de chacun, mais il n’aimait pas à les censurer directement, et il usait plutôt, en termes très-laconiques, de louanges et de critiques indirectes. Puis il nous abandonnait à nos ré-