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qu’après l’avoir éprouvé. Et ainsi de suite. Il pouvait parler de la sorte tout un quart d’heure, assurant que l’expériment[1] serait toujours plus expérimenté, et deviendrait enfin la véritable expérience. Quand il nous voyait désespérés de ces folies, il affirmait avoir emprunté cette manière de se rendre clair et pénétrant à nos plus récents et plus grands écrivains, qui nous ont fait observer comment on peut se tranquilliser dans une tranquillité tranquille, et goûter dans la paix une paix toujours plus paisible.

Un jour, dans une bonne compagnie, j’entendis faire l’éloge d’un officier qui se trouvait à Leipzig en congé ; c’était, disait-on, un homme plein de sagesse et d’expérience, qui avait servi dans la guerre de Sept ans, et qui avait gagné la confiance de tout le monde. Il ne me fut pas difficile de l’approcher, et nous fîmes ensemble de fréquentes promenades. L’idée de l’expérience était, peu s’en faut, devenue chez moi une idée fixe, et j’éprouvais le besoin irrésistible de m’en éclaircir. Avec ma franchise naturelle, je lui découvris mon inquiétude. Il sourit et fut assez bon pour me donner, en réponse à mes questions, quelques détails sur sa vie et sur le monde qu’il avait vu de plus près. Ce que j’en tirai de mieux, c’est que l’expérience nous persuade que nos pensées, nos vœux et nos desseins les meilleurs sont irréalisables, et que l’on tient surtout pour inexpérimenté l’homme qui nourrit de pareilles fantaisies et qui les exprime avec chaleur.

Mais, en homme de cœur et de courage, il m’assura qu’il n’avait pas lui-même renoncé tout à fait à ces fantaisies, et qu’il se trouvait encore assez bien d’avoir conservé un peu de foi, d’amour et d’espérance. Là-dessus, il me conta mille choses sur la guerre, la vie des camps, les escarmouches et les batailles, surtout celles auxquelles il avait pris part ; et ces terribles événements, mis en rapport avec un seul individu, en prenaient un aspect tout à fait singulier. Je le décidai ensuite à me conter sans réticence les histoires de la cour qui avait brillé naguère, et les récits avaient tout l’air de la fable. Il me parlait de la force corporelle d’Auguste II, de ses nombreux enfants, de ses

  1. Nous lisons das Erfahrcn.